Les Roms russes victimes d'expropriations et de stigmatisation, selon la FIDH et Memorial
Alors que la Russie a commencé, jeudi 31 juillet à Genève, son examen de passage devant le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale des Nations unies (CERD), deux organisations non gouvernementales, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et le centre Memorial de Saint-Pétersbourg, publient un rapport détaillé sur les graves discriminations dont sont victimes les quelque 500 000 Roms de Russie.
L'étude - "Evictions forcées et droit au logement des Roms de Russie" - dresse un tableau sombre de la situation, relatant plusieurs cas d'expulsions forcées de villages entiers, de destructions de maisons et de campagnes de stigmatisation. Le tout dans un contexte de grande misère sociale, d'impunité et de déni total de la part des autorités russes.
Les dix-huit experts indépendants du CERD, réunis en 73e session, du 25 juillet au 15 août, pour passer au crible les manquements de dix Etats signataires de la convention onusienne sur l'élimination de la discrimination raciale, dont la Russie, auront ainsi de nombreuses questions à adresser à Moscou, l'examen se poursuivant lundi 4 août.
Car si la recrudescence des agressions racistes contre les ressortissants d'Asie centrale et du Caucase et les étudiants de couleur - plus 20 % en moyenne chaque année - ou les dérives de la lutte antiterroriste sont des faits connus en Russie, les graves discriminations dont souffrent les Roms, une population sédentarisée de force à partir de 1956, sont, elles, largement passées sous silence.
Résultat d'une mission sur le terrain qui s'est déroulé en mai 2007, le rapport de la FIDH et de Memorial, s'est en particulier penché sur le sort des Kelderari (30 % de la population des Roms) qui ont conservé un mode de vie traditionnel. Répartis dans une centaine de villages dans toute la Russie, leurs terres sont désormais la cible des promoteurs immobiliers et autres spéculateurs.
"A partir de 1956, les Roms se sont vus remettre des terres par les autorités locales et y ont construit des maisons souvent avec de simples autorisations verbales. Souvent, elles ne figurent même pas sur les cadastres ou sur les plans, explique Olga Abramenko, de Memorial, une spécialiste des Roms venue à Genève pour plaider leur cause, aux côtés de six autres défenseurs russes des droits de l'homme. Les villages, qui comptent de deux cents à mille habitants, ne comportent ni numéros ni noms de rues. Il n'y a souvent ni eau, ni électricité. Résultat, sur décision d'une cour, on peut ordonner la destruction de leurs maisons et la confiscation de leurs terres sans aucune compensation", indique Mme Abramenko.
Ainsi, entre février et juin 2006, les habitants du village de Dorozhnoe (région de Kaliningrad), qui n'avaient pas réussi à obtenir des titres de propriété ont été expulsés. Quarante-cinq maisons ont été détruites au bulldozer, les deux seules habitations épargnées appartenant à des familles "russes". Ces démolitions ont été accompagnées de tabassages et d'une campagne dans la presse locale désignant les expulsés comme des trafiquants de drogue.
Entre avril et mai 2007, dans le village de Chudovo (région de Novgorod), les habitants ont dû détruire eux-mêmes huit maisons. Quatorze autres démolitions sont prévues. Au même moment, à Kolyanovo (région d'Ivanovo), en perspective de l'aménagement de l'aéroport, trente-huit familles acceptaient sous la pression de céder leurs habitations pour des sommes dérisoires. De nombreux autres villages vivent sous la menace d'une expulsion. "Ils veulent nous chasser, mais où irons-nous alors ? Nous occupons cette terre depuis 1972. Nous avons l'impression que les autorités veulent que nous adoptions à nouveau notre ancien style de vie nomade", déplore Boris Mikhay - le leader du quartier de Mysovskaya, à Tioumen (Sibérie), où sont installées 50 familles roms - interrogées par la FIDH et Memorial.
Olga Abramenko, qui travaille avec une dizaine d'avocats recrutés en Russie pour aider les Kelderari à enregistrer leurs habitations, se heurte à un mur. Le rapport rédigé par la Russie à l'occasion de son passage devant le CERD, ne comporte pas une ligne sur les Roms. La plupart du temps, les autorités locales nient farouchement le problème, avançant des arguments "ultra-légalistes", ou hygiénistes, pour justifier les expulsions.
Agathe Duparc - le Monde - 3/08/08