A l'est de l'Europe, une France jugée hors du temps
source : LE MONDE | 07.04.06 | 14h49
BUDAPEST, PRAGUE ENVOYÉS SPÉCIAUX
A Budapest, les Hongrois sont curieux de comprendre pourquoi les Français descendent dans la rue pour protester contre le contrat première embauche. "Qu'est-ce qui se passe en France ? Pourquoi les gens manifestent ?", s'interroge Peter Praczki, un jeune Budapestois qui cumule deux voire trois emplois, selon les jours.
Avec près de 2 millions de personnes (pour 10,1 millions d'habitants) vivant sous le seuil de pauvreté, et un chômage à 7,1 %, le travail à la journée s'est développé : tous les matins, place Moszkva, des travailleurs viennent proposer leurs services au mieux offrant. L'essentiel en Hongrie est avant tout d'avoir un emploi. "Le CPE, n'est-ce pas un contrat pour permettre aux jeunes d'avoir une priorité à l'embauche ?", s'interroge, circonspect, Miklos Blaho, journaliste au quotidien socialiste Nepszabadsag. Gabor, un trentenaire, fervent défenseur du parti de droite Fidesz-MPP aux élections législatives du 9 avril, renchérit : "La société ne va pas très bien, en France, je crois. Il faut donc changer les choses. Je crois qu'en fait il faudrait aller plus loin dans les réformes." "Mais le plus étrange pour nous, ajoute-t-il, c'est de voir une telle violence. Chez nous, même pour des problèmes importants les gens ne descendent pas dans la rue." Et de conclure : "Mais nous ne sommes pas dans la même problématique. Ce que nous essayons d'atteindre appartient à votre passé."
A Prague, l'opinion de Jan, 23 ans, étudiant en économie, est sans appel : "Les Français sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis et s'accrochent alors même que l'arbre est en train de pourrir. "Sans réforme, sans davantage de souplesse, la France ne jouera bientôt plus qu'en seconde division", estime pour sa part Jana Martinova, consultante en ressources humaines.
PEU DE TCHÈQUES SOLIDAIRES
Les Tchèques solidaires, ou tout au moins compréhensifs pour les revendications des étudiants français, sont peu nombreux. Seuls les syndicalistes se montrent sensibles, eux qui bataillent depuis des mois pour un nouveau code du travail, moins libéral et surtout limitant le droit de licenciement.
Dans la Slovaquie voisine, où le parti du premier ministre libéral, Mikulas Dzurinda, fait campagne pour les élections législatives anticipées de juin sur le thème : "Nous avons eu le courage de démarrer les réformes nécessaires", la presse se déchaîne contre la France "frileuse", "sclérosée", "paresseuse".
Les inquiétudes des étudiants français sont "anachroniques", affirme Magda, 22 ans et futur juriste, qui ne rêve qu'à aller tenter sa chance, "même mal payée" à Prague, Londres ou Dublin, à l'issue de ses études. Le chômage avoisine les 13 % dans le pays, ce qui pousse des dizaines de milliers de Slovaques à aller chercher du travail, souvent précaire, à travers l'Europe et au-delà des océans.
Martin Plichta et Anne Rodier
Article paru dans l'édition du 08.04.06