Bientôt la prison pour la dénonciatrice du premier crime de guerre en Yougoslavie ?
Georges Berghezan
25 juin 1991 : la Slovénie et la Croatie proclament unilatéralement leur indépendance, l’armée yougoslave se déploie aux frontières internationale du pays. Trois jours plus tard, dans le village de Holmec, à la frontière entre la Slovénie et l’Autriche, trois jeunes conscrits, attaqués par la police slovène qui a encerclé leur tank, agitent un drapeau blanc et se rendent. Ils sont froidement exécutés par les policiers, en présence d’un cameraman de la chaîne autrichienne ORF. Il s’agit du premier crime de guerre documenté des conflits qui ensanglanteront l’ex-Yougoslavie durant les 8 années suivantes.
Pendant près de sept ans, ces faits ont été tenus secrets, jusqu’à ce que la séquence d’ORF montrant la reddition et l’exécution des trois soldats – 2 Serbes et 1 Croate – soit enfin diffusée sur une télévision de Slovénie. Sous la pression de la section slovène de l’ONG Helsinki Monitor et de sa présidente Neva Miklavcic Predan, une enquête officielle sera menée, mais conclura en 1999 à l’inexistence de tout crime de guerre (les soldats auraient simulé leur exécution et auraient été tués peu après au combat).
On en serait probablement resté là – et l’affaire aurait continué à être totalement ignorée des médias internationaux – si, lors de son face-à-face avec le président slovène Milan Kucan, convoqué en mai 2003 par l’accusation du Tribunal de La Haye pour témoigner contre Slobodan Milosevic, l’ancien président serbe n’avait pas posé quelques questions gênantes à son adversaire et apporté quelques pièces supplémentaires au dossier, dont les certificats de décès des soldats. Visiblement pris au dépourvu, Kucan assura que l’enquête n’était pas close, tout en niant que les conscrits aient été exécutés. Quelques jours plus tard, Neva Miklavcic Predan tint une conférence de presse à Ljubljana où elle fit le point sur l’affaire et mit en doute le témoignage de Kucan. Les propos tenus à cette occasion ont entraîné une plainte en diffamation de 26 vétérans de guerre slovènes, « profondément blessés dans leurs sentiments » par ses allégations de crime de guerre.
Dans le même temps, la justice slovène refermait, en ce début avril 2006, le dossier, répétant qu’il n’y avait eu aucun crime de guerre à Holmec en se basant sur l’enquête de 1999. Par contre, à Belgrade, le tribunal spécial pour crimes de guerre décidait enfin d’ouvrir une enquête à ce sujet. A La Haye, malgré les pièces déposées par Miklavcic Predan, puis par Milosevic, on ne semble toujours pas disposé à s’intéresser à ce qui apparaît comme le premier crime des guerres yougoslaves.
Pour Neva Miklavcic Predan, en revanche, l’affaire n’est pas close. La plainte des vétérans de guerre a suivi son cours et débouché sur un procès, actuellement en cours. Elle risque deux ans de prison et la prochaine audience est prévue le 30 mai. Lors des deux premières, l’accusation a eu recours à une grossière falsification de la vidéo d’ORF pour tenter de faire croire que les policiers slovènes n’avaient pas tiré sur les conscrits yougoslaves.
En plus de cette affaire, elle est accusée d’avoir tenté de corrompre un fonctionnaire pour obtenir la naturalisation d’un Rom. Ce second procès est actuellement suspendu. Elle pourrait être condamnée à trois ans de prison supplémentaires à l’issue de la procédure. Enfin, une juge de Ljubljana, qui se serait sentie offensée par une remarque de Miklavcic Predan, a également entamé porté plainte. Elle est passible de trois mois de prison en cas de condamnation.
Neva Miklavcic Predan estime être victime de procès politiques visant à la punir d’avoir jeté une ombre sur la mini-guerre d’indépendance de la Slovénie, souvent qualifiée d’élève modèle parmi les nouveaux adhérents à l’Union européenne. Si l’affaire commence à faire du bruit un peu partout en ex-Yougoslavie, elle reste encore confidentielle au-delà. Cependant, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ont entamé une campagne de soutien et demandent d’écrire aux autorités slovènes pour faire cesser les poursuites contre la présidente du Helsinki Monitor. Nous nous associons à leur appel, que nous reproduisons ci-dessous.
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