L'emploi au noir plus ou moins toléré de quelque 40.000 Européens de l'Est, devenus indispensables pour l'aide à domicile des personnes âgées, provoque un débat enflammé en Autriche à six semaines des élections législatives.
Fiables, compétents et disponibles 24h/24, ces »Anges venus de l'Est», surtout des jeunes femmes de République tchèque et de Slovaquie voisines, pallient depuis plusieurs années les insuffisances de services publics débordés, comme souvent en Europe, par le vieillissement de la population.
Longtemps voilée d'un silence pudique, la crise a éclaté au coeur de l'été quand l'inspection du travail a commencé à sanctionner auxiliaires de vie et bénéficiaires de soins, provoquant la panique dans de nombreuses familles. Du coup, le ministère de l'Economie a dû demander l'arrêt des poursuites.
»Sans ces quelque 40.000 aides étrangères travaillant illégalement en Autriche, rien ne peut aller à court terme», a reconnu le ministre Martin Bartenstein. Le gouvernement a convoqué à la hâte un groupe de travail qui doit rendre ses conclusions mi-octobre.
Les enjeux, financiers et sociétaux, sont d'envergure. Le nombre de vieillards nécessitant une assistance a presque doublé en quinze ans pour atteindre 600.000 sur 8 millions d'Autrichiens, et doit encore doubler dans les vingt prochaines années, selon les projections.
Or les maisons de retraite sont surchargées et l'allocation de personne dépendante, de 475 euros par mois en moyenne, ne permet pas de financer les services d'une auxiliaire de vie à domicile.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, l'Autriche ne compte que 5,8 aides et soignants pour personnes âgées pour 1.000 habitants, contre 21,8 en Finlande.
D'où le recours croissant, souvent via des associations, à des étrangers disponibles jour et nuit moyennant le gîte, le couvert et une cinquantaine d'euros par jour, mais sans couverture sociale et en toute illégalité. Un marché évalué à près de 500 millions d'euros pas an.
Les plus hautes sphères du pouvoir n'y échappent pas: le chancelier Wolfgang Schüssel (conservateur) a lui-même été mis en cause car il s'est avéré que sa belle-mère avait bénéficié de tels services à bas prix.
»C'est un dossier très délicat que les partis auraient aimé éviter avant les élections mais qui s'est imposé car il reflète un souci majeur d'une grande partie de la population», analyse pour l'AFP le politologue Fritz Plasser.
D'une partie de l'extrême droite, d'ordinaire pourtant xénophobe, aux Verts (écologistes, opposition), un large consensus semble s'être dégagé pour la régularisation de ces auxiliaires de vie, plébiscitée par 70% de la population selon un sondage de l'institut Market.
Reste à savoir comment. »La question est extraordinairement complexe: elle touche aux finances, à l'immigration, aux générations, à la décentralisation», souligne M. Plasser.
En raison du manque de main-d'oeuvre locale, les auxiliaires de vie des nouveaux pays membres de l'Union européenne échappent aux restrictions à la libre-circulation des travailleurs dont l'Autriche et six autres pays de l'UE bénéficient jusqu'en 2011.
Mais elles doivent pour cela gagner au moins 1.500 euros brut par mois, seuil que M. Bartenstein propose d'abaisser à 1.200 pour faciliter leur régularisation.
Cette mesure, qui réduirait de moitié les revenus nets actuellement perçus au noir, a été taxée de »dumping salarial» par l'opposition sociale-démocrate, laquelle préconise la création d'un fonds spécial et la mise en place d'un »service social volontaire» sur le modèle du service civil.
Autre piste, avancée par l'économiste Gudrun Biffl: la création officielle de postes d'auxiliaires de vie pour plusieurs »seniors» sur le modèle des assistantes maternelles.
»Le dossier ne sera pas résolu avant les législatives du 1er octobre et s'est d'ores et déjà imposé à l'ordre du jour du prochain gouvernement, quel que soit sa couleur politique», estime M. Plasser.
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