L'intégration des Russes inachevée
Au deuxième étage d'un immeuble de la rue Alberta, dans le quartier Art nouveau de Riga, une quinzaine de personnes festoient.
La longue table rectangulaire est remplie de victuailles, de bouteilles de vin et d'eau. On porte des toasts. La raison de cette célébration : le premier anniversaire du site Web Dialogi.lv, consacré à la bonne entente, à l'intégration et à la compréhension entre Lettons, Russes et autres communautés culturelles de la Lettonie.
«Notre but est de favoriser l'intégration politique. Nous militons pour l'égalité des droits politiques pour tous, dit Liesma Ose, une des cofondatrices du projet financé par le controversé milliardaire George Soros. Nous voulons que notre site suscite une discussion franche sur les problèmes d'intégration.»
Quinze ans après avoir retrouvé son indépendance, la Lettonie doit encore composer avec les fantômes de son passé soviétique. Dans son offensive pour chasser l'armée allemande à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l'URSS a libéré les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), mais c'était pour s'y installer.
Dans les décennies suivantes, le pouvoir central a fait déménager, de gré ou de force, des dizaines de milliers de Russes en Lettonie, question d'asseoir son autorité et de prendre le contrôle des institutions.
Avec l'éclatement de l'URSS, la Lettonie a retrouvé son indépendance en 1991. Des antagonismes entre Lettons et Russes ont éclaté. Dans les années 1990, une loi a été adoptée pour donner la citoyenneté aux gens nés dans le pays avant 1940 et à leurs descendants. Toutes les personnes nées après l'indépendance l'ont aussi reçue. Mais entre les deux, les choses sont plus complexes. Une personne née à l'étranger entre 1940 et 1991 doit prouver qu'elle connaît bien la langue et l'histoire lettone pour obtenir sa citoyenneté. C'est aussi le cas de ses descendants.
Résultat : à l'heure actuelle, 18 % des 2,3 millions de Lettons ont un statut de non-citoyens. «Ces personnes sont privées de certains droits comme de voter, d'exercer certaines professions ou d'acheter des terres», dit Aleksejs Dimitrovs, jeune avocat de 25 ans, lui-même naturalisé et coprésident du Comité letton des droits humains.
Près de 60 % de la population est d'origine lettone, 30 % est russe et le reste vient d'ailleurs en Europe de l'Est. Selon M. Dimitrovs, 90 % des Lettons parlent le russe, et de 60 à 65 % des Russes parlent le letton. Il y a cependant une seule langue officielle, le letton. Bien que le russe soit bien ancré dans les institutions privées, comme les médias et les restaurants, les choses sont différentes dans le domaine public. Ce qui choque Anna Stroja, autre cofondatrice de Dialogi.lv. «Aux dernières élections, il n'y avait aucune information ou instruction en russe. Or, il y avait des Russes dans ce pays avant la guerre», argue-t-elle.
Mme Stroja, dont les parents sont Ukrainiens et qui a été naturalisée, trouve ridicule qu'il faille répondre par exemple à des questions sur l'histoire de la Lettonie au Moyen-Âge pour devenir citoyens.
«Il y a seulement un million et demi de Lettons au monde. C'est le seul endroit ici où on peut le parler. À plus forte raison, on doit protéger la langue. On ne peut pas avoir deux langues officielles. Ce n'est pas possible», indique la présidente Vaira Vike-Freiberga en entrevue à La Presse. Le modèle de cette ancienne professeure de l'Université de Montréal : l'unilinguisme du Québec, et non le bilinguisme canadien.