pipacs Admin
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| Sujet: Hongrie,le retour des milices 05.04.11 23:36 | |
| Un article de Libération du 5 avril 2011
L’extrême droite magyare se déploie dans les villages et attise les tensions contre les Roms.
Par FLORENCE LABRUYÈRE Envoyée spéciale à Gyongyospata
Entourée de vallons plantés de vignobles, Gyongyospata est un village comme tant d’autres dans le nord de la Hongrie. Un bourg de 2400 habitants dont 450 Roms, installés à la lisière du village. La tension avec les «Hongrois», comme disent les Roms qui s’appellent eux-mêmes «Tsiganes» ou «Roms», ne date pas d’hier.Mais elle est montée de plusieurs crans depuis qu’une nouvelle milice adoubée par le Jobbik, parti d’extrême droite, a investi le village.Un an après avoir raflé 17% des voix aux élections législatives, le Jobbik est en baisse dans les sondages, marginalisé par la droite ultra conservatrice du Premier ministre,Viktor Orbán, qui applique une partie de son programme. Pour regagner du terrain, l’extrême droite se lance dans une surenchère xénophobe et réactive la question tsigane.
CASQUETTE NOIRE. Lorsque János Farkas, le vajda (chef) de la communauté rom de Gyongyospata, ferme les yeux le soir, il revoit toujours les mêmes images : «Des hommes en uniforme et bottes noires, défilant au son de chants militaires dans notre quartier.» Le 6mars, ils étaient plus de mille miliciens sur la place du village, venus de tout le pays à l’appel du Jobbik pour «défendre les Hongrois». Beaucoup arboraient l’uniforme, la casquette noire et les bottes de la Szebb Jovoért Polgáror Egyesulet («association de patrouilles civiles pour un meilleur avenir»). Avec, pour certains, le foulard ou l’écusson rayé rouge et blanc, révélant l’appartenance à l’ancienne milice du Jobbik, la garde hongroise, dissoute par la justice en juillet 2009. C’est grâce à cette milice que le petit mouvement étudiant du Jobbik était devenu un parti populaire dans tout le pays. La garde avait défilé dans de nombreux villages du nord, à forte communauté rom. Souvent à l’appel des maires locaux, y compris socialistes, incapables de faire régner l’ordre. Pourquoi ce rassemblement à Gyongyospata? «Cet hiver, un retraité du village s’est suicidé. Volé et harcelé par les Tsiganes», expliquait un milicien propriétaire d’une société de gardiennage dans la ville voisine. Soutenus par d’autres groupuscules fascisants –l’armée nationale des sentinelles, en treillis et béret vert; la garnison, en béret rouge; et l’armée des brigands, munis d’une cape, d’un chapeau noir et d’un fouet–, les membres de la nouvelle patrouille sont restés dans le village pendant deux semaines. «Ils nous suivaient partout dans le village, à l’épicerie, on sentait leur souffle sur notre nuque… Ils nous ont insultés dans la rue, nous ont humiliés. A l’école, la direction répétait aux enfants: si vous n’êtes pas sages, on va le dire à la garde… Et pendant ce temps-là, où était l’Etat? Personne n’a réagi et la police locale a soutenu ces gars-là. Les policiers leur parlaient, leur serraient la main», raconte János Farkas. T., un autre habitant rom, est abasourdi : «Ces types nous lançaient des injures: Tsigane puant, retourne en Inde ! On veut uneHongrie blanche! Et maintenant, mon voisin, qui n’est pas rom, et avec lequel je m’entendais bien, se détourne de moi dans la rue.»
«CRIME TSIGANE». Cauchemar pour les uns…répit pour les autres. «Merci pour ces deux semaines de tranquillité!» lance le directeur de l’école à Gábor Vona, le président du Jobbik venu rencontrer la population quelques jours plus tard. Le ministère de l’Intérieur a fini par réagir et a remplacé les policiers locaux par des équipes de Budapest et de Miskolc. Les miliciens sont partis mais l’association de patrouilles civiles a aussitôt fondé sa branche locale, soutenue par plus d’un millier d’habitants. Ces derniers ont profité de la réunion avec Vona pour hurler leur colère contre «ces Tsiganes qui volent tout, les fruits et légumes des jardins, les poules et harcèlent les vieux dans la rue, exigeant de l’argent pour les laisser passer…»Z., cuisinière dans la ville voisine, renchérit: «Il a eu bien raison, Sarkozy, de renvoyer les Tsiganes. Les nôtres, on vous les donnerait volontiers.»Son fils s’énerve:«Toutes les organisations des droits de l’homme, Amnesty, la Croix-Rouge, sont venues ici pour défendre les Tsiganes… Et nous, lesHongrois, qui va nous défendre?»Gábor Vona prend note des doléances, lamine grave. Le président du Jobbik est aussi l’élu de la région où il a passé son enfance. «L’association des patrouilles civiles va sans doute organiser des actions dans d’autres villages car elle a reçu beaucoup d’invitations », prévient-il. Samedi, le Jobbik a organisé une marche dans le village de Hejoszalonta, à 180 kilomètres au nord de Budapest, en réponse à un «crime tsigane». Le scénario est toujours le même: prenant prétexte d’un fait divers, le parti relance le thème de la tsigano criminalité.Des douzaines de policiers anti-émeutes, venus de Budapest, ont isolé la marche du Jobbik d’une contre-manifestation antiraciste. Il n’y a pas eu d’incident mais le village semblait coupé en deux.Une partie de l’élite –directeur d’école, institutrice– a défilé du côté du Jobbik, tandis que le maire indépendant de ce village paisible de 850 âmes, Jozsef Anderko, rejoignait les militants des droits de l’homme. Comme à Gyongyospata, les graines de la haine sont semées.
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