Dans Libération de ce mardi 26 avril 2011
Vu de Hongrie Par FLORENCE LABRUYÈRE
Le gouvernement Orbán impose son révisionnisme à la Hongrie
Embellir l’histoire, c’est tentant. Et la droite ultra-conservatrice du Premier ministre,Viktor Orbán, ne résiste pas à la tentation.
Témoin, les déclarations récentes d’un sous-secrétaire d’Etat indiquant qu’il faudrait «réaménager en partie» l’exposition du Mémorial de l’Holocauste à Budapest. Un mémorial dont on doit pourtant la naissance au premier gouvernement Orbán (1998-2002), également initiateur de la commémoration officielle de l’Holocauste. Inauguré en 2004 en présence de Nicolas Sarkozy, l’édifice, auquel la France a contribué à hauteur de 490000 euros, est installé dans une ancienne synagogue.
L’exposition permanente dit clairement la responsabilité de l’Etat dans le génocide de 596000 Juifs hongrois.On y voit des photos de l’amiral Horthy, régent de Hongrie, entrant avec ses troupes en Transylvanie en 1938. Grâce
à son alliance avec Hitler, la Hongrie recouvrait ce territoire perdu au bénéfice de la Roumanie en 1920. Les Juifs qui y vivaient furent tous déportés vers les camps de la mort par la gendarmerie magyare en 1944.Mais «il n’y a aucun lien entre l’entrée de l’amiral Horthy dans les provinces récupérées et le fait
qu’ensuite des populations ont été déportées», a déclaré le représentant de l’Etat sur le site web du gouvernement. «On ne peut tout de même pas nier le rapport entre les deux faits ! rétorque l’historien Pierre Kende. Le sort des Juifs dans le territoire rattaché à la Hongrie a été tragique, tandis que ceux restés en territoire roumain ont survécu.»
Le haut fonctionnaire a, depuis, indiqué n’avoir exprimé que son «opinion personnelle ». Mais l’affaire a suscité un tollé, d’autant que le gouvernement a entièrement limogé le conseil d’administration du mémorial. «Derrière cette décision, l’on devine des arrière-pensées politiques. On suppose qu’à l’avenir les expositions seront moins “blessantes” pour l’amour-propre des Hongrois», ironise Pierre Kende.
Quarante-deux historiens et philosophes s’inquiètent en outre, dans une lettre publique, que l’Etat réécrive l’histoire à sa manière dans la nouvelle constitution.«L’Etat a perdu sa souveraineté le 19 mars 1944», dit le texte. Pour l’historien László Karsai, c’est entretenir le mythe que les Allemands furent seuls responsables des déportations. Or, indique-t-il, «la Hongrie a été le premier pays en Europe à voter des lois anti-juives en 1920 et à déporter des Juifs dès 1941».Un demi million de personnes envoyées dans les camps de la mort en quelques semaines. István Deák, professeur à l’université de Columbia à New York, souligne que ces déportations ont nécessité la
participation «de tous les maires, cheminots, enseignants, et de beaucoup de médecins et de sages-femmes qui vérifiaient, contre rémunération, que les femmes ne cachaient pas de bijoux. L’histoire n’a noté aucun cas dans lequel un agent public aurait été puni pour avoir refusé de participer».•