- Arany a écrit:
- Carrément surprenant! Qu'en pensez vous?
Se souvenir et faire se souvenir du poème EGY MONDAT A ZSARNOKSÁGRÓL
http://www.mek.iif.hu/porta/szint/human/szepirod/magyar/illyes/zsarnok.hun
que Gyula Illyés écrivit en 1950 (mais il n'a pu le publier qu'en 1956, pendant la révolution)
A Sentence About Tyranny http://www.hungarianquarterly.com/no139/p15.html
UNE PHRASE SUR LA TYRANNIE
(traduction Jean Follain):
Là où il y a tyrannie
tyrannie il y a
pas seulement à la gueule des fusils
pas seulement en prison
il y a tyrannie
pas seulement dans les chambres d'interrogatoire,
ni dans la voix de la sentinelle
criant dans la nuit
pas seulement dans le réquisitoire
sombre et fumeux
pas seulement dans les aveux
et le Morse du prisonnier
pas seulement dans la sentence
glacée du juge prononçant: coupable
il y a tyrannie
pas seulement dans le "garde-à-vous!"
dans ce cri de la raideur militaire: "Feu"
dans le roulement du tambour,
pas seulement dans la façon dont un cadavre
est balancé dans la tombe,
pas seulement dans les nouvelles
chuchotées avec peur
à travers des portes
furtivement entrouvertes;
pas seulement dans le doigt devant la bouche
qui veut dire: tais-toi
il y a tyrannie
tyrannie encore;
pas seulement dans les traits d'un visage
muré comme une prison
dans les cris de douleur
inarticulés derrière des barreaux,
dans le flot violent
des larmes muettes
qui ajoutent au silence
dans les pupilles dilatées;
il y a tyrannie
non seulement dans les acclamations,
debout, rugis
dans les hourrah, dans les chants,
là où il y a tyrannie,
tyrannie il y a
non seulement dans les mains
qui applaudissent inlassablement
dans les cors de l'Opéra,
dans les pierres des statues
tout aussi tonitruantes que mensongères,
dans les couleurs, les salles d'exposition
dans chacun des cadres
et déjà dans le pinceau;
pas seulement dans le bruit discret
d'une voiture qui glisse dans la nuit
dans le fait qu'elle s'arrête au portail;
là où il y a tyrannie elle demeure
présente et partout
plus que ton dieu d'autrefois,
il y a tyrannie dans les crèches,
les conseils du père
les sourires de la mère
les réponses données par un enfant à l'étranger;
pas seulement dans les fils barbelés,
dans les lignes des livres,
dans les slogans abrutissants
mieux que fils barbelés
elle est là aussi bien
dans le baiser d'adieu,
dans la façon dont l'épouse dit:
quand rentres-tu, chéri?
dans les "comment ça va?"
répétés machinalement dans les rues,
dans les poignées de mains
subitement devenues plus lâches,
dans le visage de ton amour
qui soudain se fige, glacial,
la voilà présente,
elle-même au rendez-vous,
pas seulement dans l'interrogatoire,
mais aussi dans les aveux,
dans la griserie de douces paroles
comme la mouche dans du vin
car tu n'es plus seul
même dans tes rêves,
elle est au lit nuptial,
même plus tôt que le désir
tu ne crois beau
que ce qui lui a déjà appartenu une fois;
avec elle tu couchais
lorsque tu croyais aimer,
elle est dans les assiettes, les verres,
le nez, la bouche,
dans le froid, l'obscurité,
dehors et dans ta chambre
comme si par les fenêtres ouvertes
une puanteur de charogne pénétrait
comme si quelque part dans l'immeuble,
il y avait fuite de gaz,
quand tu parles en toi-même,
c'est elle, la tyrannie qui interroge,
tu n'es plus libre
même en imagination,
là-haut, la voie lactée est transformée,
que balaye la bande frontalière des faisceaux de lumière,
c'est comme un champ de mine
et l'étoile est comme un judas,
il y a comme des tentes grouillantes au ciel
formant un seul camp de travail
la tyrannie parle
dans la fièvre, dans le son des cloches,
dans la bouche du prêtre confesseur
dans ses sermons,
église, Parlement, échafaud
concourent au même théâtre;
tu as beau fermer et ouvrir tes paupières
toujours elle te regarde;
t'accompagne,
comme la maladie, le souvenir;
le train roule au rythme d'une phrase:
tu es prisonnier, prisonnier;
la tyrannie tu la respires
à la montagne, à la mer;
quand l'éclair luit, c'est elle
aussi présente dans chaque bruit,
dans chaque lueur inattendue,
dans le haut-le-corps aussi bien
dans le calme encore
dans la lassitude des menottes
le battement de l'averse,
ses barreaux qui vont jusqu'au ciel;
dans la chute de la neige
dont la blancheur t'enserre comme les murs de ta cellule;
c'est elle qui te regarde
à travers les yeux de ton chien,
car elle demeure présente dans chaque projet
dans tes lendemains,
dans tes pensées,
dans chacun de tes gestes;
tu la suis, tu l'engendres
comme le fleuve son lit;
essaies-tu de regarder hors de sa portée
elle te regarde dans la glace;
tu as beau vouloir t'enfuir, elle te guette
tu es à la fois prisonnier et geôlier
elle s'insinue dans le goût de ton tabac,
l'étoffe de tes costumes
elle pénètre au plus profond
jusqu'à la moelle de tes os;
tu voudrais réfléchir, mais seuls
te viennent à l'esprit ses propos
tu voudrais regarder, mais tu ne vois
que ce qu'elle te montre
déjà tout flambe autour de toi,
foret qu'incendie une seule allumette
celle qu'en la jetant
on n'a pas écrasée;
toi aussi, la tyrannie te surveille,
á l'usine, aux champs, dans ta maison
tu ne sais plus ce qu'est vivre
ce qu'est la viande, le pain,
ce que peut être désirer,
ouvrir tes bras,
ainsi, l'esclave lui-même
forge les fers qu'il porte
c'est elle qu'en mangeant tu engraisses
pour elle que tu engendres des enfants,
là où il y a tyrannie
chacun est maillon de la chaîne,
elle t'enveloppe de pestilence
toi-même es tyrannie,
taupes sous le soleil
c'est ainsi que nous errons dans une aveugle obscurité,
nous nous bousculons dans les réduits
comme en plein Sahara
car là où il y a tyrannie,
tout reste vain,
même le chant aussi fidèle qu'il soit
n'importe quel ouvrage,
car elle demeure
depuis le commencement, prés de ton tombeau,
elle décrète qui tu étais,
se sert de tes cendres.