Le Monde du 25.03.2006
C'est un petit village d'aspect moyenâgeux comme il y en a tant dans la Roumanie profonde. Routes défoncées, maisons modestes. Dans le centre, les Roumains ; à la périphérie, la minorité tzigane. Depuis le 16 mars, Ramnicelu, à l'est du pays, commune de quelque 5 000 habitants dont un tiers de Tziganes, est dans la ligne de mire des autorités roumaines. Quelques jours auparavant, la communauté tzigane du village faisait la fête. Neuf mariages le même jour, ce n'était pas un événement ordinaire. L'âge des mariées non plus, puisque les neuf filles étaient encore des écolières de 8 à 11 ans. "Dans cette communauté, les mariages arrangés sont la norme depuis la nuit des temps", affirme Bogdan Panait, secrétaire d'Etat chargé de la protection de l'enfance.
"Depuis le début de l'année, nous avons célébré une trentaine de mariages entre nos enfants", raconte Gheorghe Fotache, conseiller d'origine tzigane auprès de la mairie, qui joue le rôle de médiateur entre les Tziganes et les Roumains. Moi-même j'ai épousé ma femme à l'âge de 14 ans alors qu'elle en avait 9 et nous sommes très heureux." Mais ces mariages précoces, que la communauté tzigane continue de pratiquer neuf mois avant l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, mettent les autorités roumaines dans l'embarras.
Bucarest a été sommé par les instances européennes, depuis le début des négociations avec l'UE, en 2000, de régler ce problème. En septembre 2003, le roi autoproclamé des Tziganes, Cioaba, avait été au coeur d'un scandale après avoir conclu le mariage de sa fille Ana Maria, 12 ans, avec le jeune Birita, âgé de 15 ans. L'intervention de la baronne britannique Emma Nicholson de Winterbourne, ancien rapporteur du dossier roumain au Parlement européen, a abouti à la séparation des enfants et à l'engagement de Bucarest de régler cet épineux problème. Mais il apparaît difficile de concilier le respect de cette tradition et l'intégration de la minorité tzigane.
Les mariages multiples de Ramnicelu font resurgir la question dans l'actualité. "Le maire du village nous a saisis à propos de ces neuf mariages de mineurs, témoigne Cecilia Manolescu, directrice de l'antenne locale pour la protection de l'enfance. Nous avons aussitôt envoyé dans le village une équipe d'assistants sociaux accompagnés de policiers pour faire une enquête. Nous avons trouvé quatre petites filles installées dans les maisons de leurs beaux-parents. Elles ont déclaré qu'elles habitaient bien là mais qu'elles dormaient avec leurs belles-mères et non avec leurs jeunes maris. Malheureusement, cette situation est très fréquente dans notre région."
L'enquête menée par les autorités roumaines ne semble pas devoir faire changer d'avis les représentants légaux de ces enfants. "Nous ne voulons pas renoncer à cette tradition, dit Alexandru Ibris, grand-père d'une des mariées de Ramnicelu, âgée de 8 ans. Personne ne fait de mal à ces enfants, mais nous voulons être certains que les nôtres hériteront de nos biens. Les Roumains ne peuvent pas comprendre." Selon les témoignages de cette communauté, une fille qui n'est pas encore mariée à 10 ans est une honte pour la famille.
Cette pratique est mal vue par la population de souche roumaine qui ne cache pas ses sentiments racistes envers la minorité tzigane. Officiellement, la Roumanie compte 535 000 Tziganes pour une population de 22 millions d'habitants, mais, selon les dirigeants de cette communauté, il y en aurait environ un million et demi.
La directrice de l'école locale, Neacsa Raileanu, s'inquiète de la natalité galopante dans la communauté tzigane. "Je vois de plus en plus de filles enceintes à partir de l'âge de 13 ans", affirme-t-elle. Quant au maire de Ramnicelu, Neculai Jugaru, il se déclare battu. "Nous avons organisé une rencontre entre plusieurs parents tziganes et un psychologue, explique-t-il. Quelques jours plus tard, les mêmes familles mariaient leurs enfants et faisaient la fête."
Il est évident que le mariage des enfants, tradition ancrée dans la vie des tziganes, ne se fera pas en légiférant. Un tzigane intérrogé précisait que ce ne sont pas les enfants que l'on marie mais les familles qui sont unies par ce mariage. Ce n'est pas en faisant passer une interdiction pas la force que le "problème" sera résolu.
Dans d'autres pays du monde les enfants aussi sont mariés très jeunes et même en France certaines filles sont mariées jeunes et contre leur volonté. Cette situation n'set donc pas une exclusivité réservée aux tziganes.
En Angleterre actuellement le grand jeu est d'être la fille qui sera la plus jeune maman. Des fillettes de 13 ans se retrouvent ainsi enceinte.