L’auteur polonais de science-fiction
Stanislas Lem, dont les ouvrages se sont vendus à plus 27 millions d’exemplaires et ont été traduits en plus de 40 langues, est décédé à l’âge de 84 ans dans ville de Cracovie, le 27 mars dernier.
Né le 12 septembre 1921, il voit ses études de médecine interrompues par la Seconde Guerre mondiale et travaille alors comme mécanicien et soudeur avant de prendre part à la résistance contre les Allemands. A l’issue de la guerre, l’Armée Rouge occupe la Pologne et l’Union Soviétique contrôle le pays. En 1946, Lem reprend des études de médecine à l’université Jagellone de Cracovie. Pour éviter une carrière de médecine militaire, il ne passe pas ses derniers examens et obtient seulement un certificat de fin d’étude. Assistant de recherche d’une institution scientifique, il écrit ses premières histoires pendant son temps libre. Cependant, son premier roman important reste censuré huit ans par les autorités communistes avant de paraître en 1956, à la faveur du dégel krouschtchevien faisant suite à la mort de Staline. Titulaire d’un diplôme honoraire de l’Ecole polytechnique, Lem faillit faire partie de la célèbre
Science Fiction Fantasy Writers of America (SFWA) en 1973 – décision annulée après les critiques de l’écrivain polonais contre la science-fiction américaine, qu’il décrit comme bas de gamme, kitsch, pauvrement écrite et plus intéressée par la rentabilité que par les idées ou les nouvelles formes littéraires.
L’ouvre de Lem se partage schématiquement en deux périodes. La première est plutôt tournée vers l’espace, ainsi de son premier ouvrage,
Feu Venus,
qui date de 1954 et décrit l’exploration de notre planète sœur détruite par ses habitants. En 1960, le réalisateur polonais Kurt Maetzig portera le roman à l’écran sous le titre L’étoile du silence (Milszaca Gwazdia), un film remarquable pour l’époque.
Eden et L’invincible décrivent deux autres explorations de planètes inconnues, la première régie par des nuages de cristaux métallique qui effacent la mémoire en polarisant les cerveaux, le seconde hantée par des créatures humanoïdes dénaturées, fruits d’expériences biologique insensées. Mais c’est naturellement
Solaris (1961)
qui reste l’ouvrage le plus connu de Lem, et sans aucun doute son chef-d’œuvre. Les deux films qui en furent tirés, le premier par Andreï Tarkovski en 1972, le second en 2002 par Steven Soderbergh, ont rendu familière sa thématique. Solaris, planète en orbite autour d’Alpha du Verseau, est tout entière recouverte par un Océan vivant, une « soupe colloïdale » pensante capable de pénétrer l’esprit humain et d’y extirper des souvenirs d’après lesquels il modèle des créatures éphémères, par exemple leurs chers disparus. Mais pour les chercheurs qui l’étudient depuis des siècles, le mystère de l’océan, peut-être un « dieu dans l’enfance », restera à jamais inaccessible. Quand il se penche sur notre planète, ce qu’il fera plus volontiers dans son âge mûr, Lem n’est pas plus optimiste, même si la noirceur profonde se tempère d’un humour absurde qui pourrait remonter à Alfred Jarry et son fameux père Ubu, autre polonais célèbre. Dans
Les mémoires d’Ijon Tichy, qui se déclineront en plusieurs variations, Lem dénonce la prolifération des ordures humaines à travers la galaxie, et met en scène une clinique psychiatrique pour robots névrosés. Les robots ont d’ailleurs toutes les faveurs de l’auteur, qui les exploite sans façon dans
La Cybériade avec Trurl et Clapautius. Dans
Le Congrès de futurologie, c’est la Terre de la déglingue qui tient la vedette, où vivent 69 milliards d’hommes et « sans doute encore 26 milliards d’habitants clandestins », tandis que dans
Mémoires trouvés dans une baignoire, un agent secret découvre, dans les ruines souterraines du dernier Pentagone, qui représente tout ce qui subsiste du pays d’Ammer-Que, le témoignage du dernier survivant de l’ère du Néogène. Les plus récents ouvrages de Lem accentuent encore son pessimisme, abandonnant l’humour pour se tourner vers récits à la fois plus intimes et plus borgésiens, comme les nouvelles incluses dans
Bibliothèque du XXIème siècle ou
Provocation, où il s’attaque à une réflexion sur l’holocauste.
Celui qui était considéré comme l’un des plus grands auteurs de SF de tous les temps laisse une œuvre en grande partie à redécouvrir (une quarantaine de volumes) car, pour l’instant du moins totalement indisponible en français.
Article de Jean-Pierre Andrevon
L’écran fantastique
Mai 2006
Maya