caroslo Utilisateur
Nombre de messages : 378 Localisation : SLOVAQUIE-retour en France ! Date d'inscription : 07/04/2006
| Sujet: BREGOVIC mosaïque culturelle des Balkans 11.07.06 11:58 | |
| Goran Bregovic clôture le Festival de jazz de Montréal 2006. L' occasion d' en dire un mot... 10/07/2006 Montréal sous le charme des Rom par Philippe Rezzonico Le Journal de Montréal http://www2.canoe.com/artsetculture/actualites/musiquelivres/archives/2006/07/20060710-080500.html Fin de week-end et de festival, temps magnifique, aucun risque de pluie et les klaxons des Italiens qui résonnent à deux pâtés de maison: rien n'allait gâcher le spectacle de clôture extérieur du Festival international de jazz avec Goran Bregovic.
Aux terrasses du Complexe Desjardins, pleines de monde, et sur les marches de l'esplanade de la PdA qui affichaient déjà complet, tout le monde patientait dans une ambiance bon enfant. On voyait une foule de festivaliers portant le chandail de l'équipe de France qui allaient devoir se consoler avec la musique du Serbo-Croate. On voyait pas mal moins d'Italiens, ces derniers trop occupés à faire la fête quelque part ailleurs. Sur la scène devant le complexe, le groupe Manouche jouait avec fougue sa musique tzigane depuis 20 heures, préparant à merveille le terrain pour Bregovic, dont les mêmes influences se retrouvent dans sa musique.
Bregovic présentait son fameux orchestre des mariages et des enterrements pour la première fois en Amérique du Nord. Voirce site
Depuis quelques années, l'orchestre est le véhicule privilégié de la musique de Bregovic , avec 40 musiciens pour le seconder.Le parcours de Bregovic est des plus singuliers. Études classiques de violon et fondateur du groupe rock White Button, son tracé changera à la suite d'une collaboration avec Emir Kusturica qui mènera à la bande sonore du Temps des Gitans, en 1989. Ce jalon majeur dans sa carrière va lui permettre de toucher à tous les genres par l'entremise de la musique de film: réinvention d'un Iggy Pop avec Arizona Dream (1993), musique juive yéménite pour La Reine Margot (1994) et tango du Cap-Vert de Cesaria Evora pour Underground (1995). Tout le charme de la musique de Bregovic réside précisément dans ce bordel inextricable très rigoureusement organisé, cette incertitude émotionnelle savamment orchestrée, ce rire dément qui s'étrangle en larmes, ce désespoir insondable qui inéluctablement s'exorcise en bacchanale. C'est qu'on se trouve là plongé d'un coup au coeur du génie des Balkans, dans cette douce et irrésistible confusion des sentiments, là où ça rit, pleure et chante dans le même mouvement, entre légèreté ironique et sentimentalisme exacerbé, là où la vie est un théâtre total, permanent et à ciel ouvert, avec ses drames intenses, ses joies ineffables net toujours, omniprésente, cette nostalgie magnifique qui ne s'appesantit jamais en amertume, mais se métamorphose immanquablement et, comme par magie, en une inépuisable source de vie...
Une musique luxuriante en somme, débordante de tous côtés, dramatique et enjôleuse, au charme juvénile et un peu roublard, ne se refusant aucun artifice pour toucher les coeurs et séduire les sens, mettant en œuvre une gigantesque hétérogénéité de matériaux et de techniques pour parvenir à ses fins, avec au final ce petit quelque chose de bricolé dans l'art du détail qui n'exclut nullement une incontestable cohérence esthétique d'ensemble, entre art brut recyclé et détournement kitch indubitablement pop...
C'est là que la musique " de bric et de broc " de Bregovic impose définitivement son extraordinaire actualité, dans cette façon directe et authentiquement populaire de puiser dans les poubelles de nos sociétés de surconsommation de quoi alimenter sa fringale d'émotions, son irrésistible pulsion de vie, s'appropriant formes et discours officiels pour, avec une naïveté malicieuse dans le geste, une grande spontanéité d'intention et pas mal d'humour acide, les détourner, les subvertir et, au final, les réinventer, les réinstaurer dans leur innocence perdue... Cette attitude foncièrement post-moderne n'est pas une pose opportuniste, une compromission facile à l'air du temps : cette désillusion (tout sauf désespérée !) face au monde tel qu'il va, dérive, délire, Bregovic de tout temps l'a expérimentée dans sa chair... Né il y a un demi-siècle à Sarajevo d'une mère serbe et d'un père croate,( et marié depuis à une Bosniaque ! ) rock star adulée par la Yougoslavie titiste avec son groupe Bjelo Dugme, avant d'accéder à une reconnaissance internationale au tournant des années 90 en composant, coup sur coup, trois partitions majeures pour le cinéaste Emir Kusturica, alors même que son pays entrait dans cette guerre fratricide, Bregovic semble avoir traversé comme un mauvais rêve éveillé tous les remous de l'époque : la foire aux idéologies, les mascarades et les tragédies de l'Histoire, depuis l'horreur communiste jusqu'à l'hystérie nationaliste, en passant par les faux-semblants généralisés de l'humanisme occidental...
D'où sans doute ce sentiment intense d'avoir à faire ici à une musique authentiquement " revenue " de tout, tant idéologiquement qu'esthétiquement, puisant au final son inspiration et son originalité dans un retour concerté aux sources, retraversant les Balkans, le formidable puzzle ethnique et culturel de ses territoires à la fois façonnés et dévastés par des siècles de conflits politiques, pour y glaner l'humanité délaissée par les grands systèmes et la réinstaller au coeur de notre époque...
Et c'est finalement en choisissant de considérer son pays dans toute sa complexité comme une sorte d'immense laboratoire des grandes problématiques de notre monde en décomposition / recomposition, en décidant d'en rendre compte honnêtement sans chercher à résoudre ses conflits et autres contradictions, que Bregovic - dans ce baroque flamboyant et délicieusement kitch, cette façon de jouer avec les genres prétendus mineurs, cette aptitude à saisir la vitalité de la sous-culture sous ses formes les plus trash et définitivement exclues de la sphère du " bon goût "- résiste à sa manière toute personnelle à l 'uniformisation programmée des goûts et des sentiments et au contrôle des consciences, nouvelles menaces de notre monde " mondialisé "... C'est en définitive parce qu'il se considère aujourd'hui comme totalement et consciemment yougoslave que Goran Bregovic est un compositeur à ce point universel. | |
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