La Lakas Mafia, l’escroquerie en appartements
Depuis les années quatre-vingt-dix, dans l’indifférence générale, des dizaines de milliers de personnes se sont vu déposséder de leur logement.
Les gouvernements successifs ont tout fait pour minimiser le scandale des appartements, qui implique des juges, des avocats et des notaires et qui pourrait éclabousser des membres importants de la classe politique hongroise. Une association, Sors Tarsak (Compagnons de destin), campe depuis début juillet devant le Parlement, espérant ainsi inciter le gouvernement à enfin prendre des mesures.
En 2003, le Parlement hongrois avait fini par désigner une commission parlementaire pour enquêter sur la Lakas Mafia. Le député conservateur, membre de cette commission, Dénes Kosztolanyi (Fidesz) explique : « Ce phénomène avait pris une telle ampleur qu’il fallait absolument faire quelque chose. » Les conclusions de la commission sont accablantes : « Le nombre de personnes impliquées était phénoménal ! Des avocats, des juges, des policiers ! » Pour les années quatre-vingt-dix, le nombre de transactions frauduleuses est estimé à environ 78 000 par an. À la suite de cette vaste enquête, le Parlement a adopté presque unanimement une série de mesures permettant de combattre cette fraude. En 2004, le Parti socialiste hongrois (MSzP) a voté, seul, plusieurs amendements vidant la loi « anti-Lakas Mafia » de sa substance.
DES CRIMINELS EN COL BLANC
Ce qui caractérise le phénomène des Lakas Mafia est le fait que les victimes sont généralement pauvres et que les criminels, en col blanc, sont puissants et ont de nombreuses relations, ce qui explique le silence complice des autorités hongroises. Au milieu des années quatre-vingt, n’ayant plus les moyens d’entretenir les immeubles d’habitation, le gouvernement socialiste permit à chaque locataire de racheter son logement pour des sommes dérisoires, ainsi de nombreux Hongrois se sont retrouvés en possession de biens immobiliers de grande valeur qui, autrement, leur aurait été inaccessibles.
Erzsebet Torok-Szabo, présidente de l’association Sors Tarsak, qui fut elle-même une des victimes des Lakas Mafia, raconte comment procède cette forme de criminalité pour s’emparer d’appartements. Le système implique quelques individus, une demi-douzaine au maximum, qui vont se mettre de concert pour spolier un propriétaire modeste, il n’est donc pas question de vaste système pyramidal strictement hiérarchisé. Cette organisation implique généralement un individu qui va repérer la victime, un prêteur sur gage et un avocat.
Le cas d’Erzsebet est assez typique. « J’ai été contactée par une " amie " qui avait un besoin urgent d’argent, 2 millions de forints, 8 000 euros actuels, ce qui dans la Hongrie des années quatre-vingt-dix représentait une forte somme », explique-t-elle. Voulant aider son amie à se sortir d’une situation embarrassante, elle accepte de mettre son appartement en gage pour emprunter les 2 millions de forints. « Mon appartement, situé dans le centre de Budapest, valait à l’époque 6 millions de forints, à présent sa valeur a quadruplé ! » dit-elle avec amertume.
EXPULSÉE PAR LA POLICE
Le piège se referme alors sur Erzsebet, son amie trouve un prêteur sur gage qui accepte d’avancer l’argent, ensemble ils se rendent chez un notaire que connaît son amie pour officialiser la transaction. Pendant trois mois, la période légale pendant laquelle il est possible d’annuler une vente immobilière en Hongrie, Erzsebet jouit de son logement, ne se doutant de rien. C’est seulement après cette période qu’elle reçoit un appel téléphonique d’un inconnu lui expliquant qu’il est en possession du contrat de vente de son appartement et qu’elle doit quitter les lieux. « C’est la police elle-même qui m’a forcée à quitter mon appartement contre ma volonté ! » explique-t-elle.
Devant le juge, elle reçoit un véritable coup de massue, celui-ci lui explique qu’il ne compte pas prendre en considération les circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu, il voit uniquement que le contrat comporte sa signature !
Guillaume Carré
l'Humanité du 01.08.06