Citation du jour du [16 Mars 2008]
Nous avons besoin d'hommes qui sachent rêver à des choses inédites. «
[John Fitzgerald Kennedy]
Extrait d'un discours à Dublin - 28 Juin 1963
Une présidente méconnue
LA SLOVENIE
Depuis le 1er janvier 2008 et jusqu’en juin prochain, la Slovénie préside l’Union européenne. Un rôle important pour un Etat dont la majorité des Occidentaux ne savent rien. Que de son Texas lointain George W. Bush confonde le petit pays avec la Slovaquie ne surprend pas, mais quid des Européens pourtant si proches ? La Slovénie semble victime du syndrome de l’Europe centrale, cet “Occident kidnappé” par l’ours russe.
Slovénie. Le nom évoque une contrée lointaine, noyée dans le magma des “pays de l’Est”. On ignore presque tout de cet Etat (1). Jusqu’au nom de sa capitale, qui n’a pas eu la chance de rencontrer la notoriété grâce à un club de foot ou un fait divers comme sa consoeur lituanienne… Ljubljana. Y’a-t-il même quelque Français qui puisse lire, prononcer et retenir aisément ce nom ? Lorsqu’on vient à parler de la Slovénie, l’indifférence apparaît. Pas une star. Pas même un quelconque stéréotype. On peut penser que ne pas avoir d’idées reçues sur un peuple est plutôt positif et pourtant, dans ce cas précis, on peine même à trouver une quelconque image qui nous rendrait plus familier à ce pays qui mérite amplement d’être découvert.
Une cousine pas si éloignée
L’Etat est pourtant proche de nous. L’euro pour monnaie, une démocratie de régime parlementaire, un taux d’alphabétisation de 99,7 % et une honorable place de 27e sur 177 au classement des pays selon leur indice de développement humain (2). La Slovénie n’a rien d’exotique et un coup d’oeil sur une carte aurait suffit à le prouver : l’Etat partage ses frontières avec l’Italie et l’Autriche. Sa capitale se situe à seulement 800 km de Nice ou Grenoble. Les Alpes, la Méditerranée et le plateau d’Europe centrale participent même au relief de ce petit pays à l’européanité indiscutable, tant d’un point de vue géographique qu’historique. Plus qu’une simple voisine, la Slovénie a en effet pris part aux grands ensembles européens historiques. Territoire du Saint-Empire romano-germanique, elle a aussi été austro-hongroise du XIIIe au XIXe siècle, italienne au XXe et yougoslave de 1946 à 1991. Ce bout d’Europe centrale de 20.273 km2 a même été français pendant quatre ans (1809 à 1813). Les descendants d’Hugo semblent avoir oublié ce lien avec la patrie d’Ivan Cankar (3). Peut-être tout simplement parce qu’ils ne l’ont jamais appris. Au mieux, cette ancienne appartenance à notre territoire a pu être mentionnée en cours : seuls les puissants ont la chance de voir leur histoire étudiée à l’école républicaine. Un enfant studieux aurait de toute façon eu du mal à obtenir une vision plus globale de l’histoire du continent. A l’exception de ‘Europe, a History’ de Norman Davies, il n’existe aucun ouvrage retraçant l’histoire européenne d’un angle qui ne soit pas national. Le livre en question comprend 1.365 pages et n’existe qu’en anglais. On excuse alors le commun des mortels d’ignorer la nature profondément européenne de la Slovénie.
Quelque part à l’Est
A l’Ouest, l’unique image suggérée par la Slovénie semble être celle d’un de ces Etats entrés dans l’Europe il y a peu. On le classe dans le groupe “Europe de l’Est” ; or l’appellation n’est pas neutre car la Slovénie ne se situe même pas dans cette zone. Comme l’a expliqué l’historien Norman Davies, les espaces géographiques sont connotés. Alors que le qualificatif “Ouest” est associé au monde des dominants, l’expression “fille de l’Est” laisse entr'apercevoir le dédain de l’imaginaire collectif pour cette direction. Le fait que la Slovénie, située en Europe centrale, soit ainsi mentalement déplacée, se révèle lourd de signification. Obnubilés par l’imaginaire de la guerre froide, on exclut cette partie du continent. Après la chute du communisme, un arrimage politique rapide de la Slovénie et des autres Etats libérés a été envisagé. Un nouveau modèle d’intégration à l’UE, avec de longues périodes d’adaptation aurait ainsi pu redonner sa place à l’Europe centrale. On parlait de commune liberté des peuples. “L’Occident kidnappé” pouvait enfin rejoindre sa famille. L’”unification” de l’Europe est bien vite devenu un “élargissement”, terminologie pour le moins significative. L’Europe occidentale assimile les nouveaux membres plus qu’elle n’échange avec eux, comme si la Slovénie et ses condisciples n’apportaient rien. Ne s’agissant plus que d‘exportation de normes économiques et politiques, cette procédure toute bureaucratique annihile l’éveil d’un sentiment d’européanité commun. Résultat : fin 2002, 51 % des Européens et 47 % des Français étaient incapables de citer le nom d’un seul des dix Etats sur le point d’intégrer l’Union européenne. (4)
Une culture politique
La “vieille Europe” semble penser que sa cadette n’a rien à lui apporter. Considérer les nouveaux membres comme une “jeune Europe” est d’ailleurs significatif du malentendu handicapant les relations intraeuropéennes. Les Français tendent à dédaigner les pays de cette région car la plupart ont leur statut d’Etat indépendant depuis peu. La Slovénie n’existe en tant qu’Etat que depuis 1991 mais elle n’est pas pour autant jeune et sans histoire. C’est une nation riche d’un passé de plusieurs centaines d’années. Avant d’être un Etat à part entière, la Slovénie a existé en tant que patrie à travers sa langue, ses écrivains, ses moeurs et coutumes.
Au début du XIXe siècle, le poète France Preseren choisissait de s’exprimer en slovène plutôt qu’en allemand, langue officielle de l’époque. La culture était politique car seule celle-ci pouvait assurer la préservation de la conscience de la spécificité slovène. De nombreux écrivains participèrent à la rédaction de la constitution au moment de l’indépendance et l’hymne national slovène est tiré d’un poème de France Preseren. Dans un Etat aux frontières fluctuantes, les artistes permettaient à la patrie de vivre. Aujourd’hui stable et affranchie, la nation n’a plus le même besoin de ses artistes, qui doivent redéfinir leur place. Le groupe de métal Syddharta s’autorise des titres en anglais, tout comme le philosophe Slavoj Zizek qui a délaissé sa langue pour celle de Shakespeare ou l’auteure Brina Svit qui écrit désormais en français. Le cinéma slovène primé à l’étranger (‘Rezervni deli’(5), ‘Kruh in Mleko’(6) ou ‘No Man’s land’) demeure politique mais plutôt dans les thèmes abordés que dans la démarche.
Un modèle peu familier
Un Français peut aisément entendre la problématique de la défense de la langue, mais pour ce qui est des rapports entre culture, Etat et nation, les choses se compliquent. Le manque d’outillage mental adéquat pour saisir la logique non-institutionnelle de la Slovénie est patent. Dans l’Hexagone, l’universalisme républicain est tellement intégré à la manière de percevoir le monde qu’il est difficile d’appréhender le concept de nation hors du cadre étatique. Chacun tente de comprendre les autres à travers son passé. La nation française a été créée à coups de décisions politiques. Notre modèle est celui d’un Etat qui engendre une nation à partir d’un ensemble multiculturel en homogénéisant. Comment pourrions-nous comprendre spontanément une Slovénie restée elle-même malgré une quasi-perpétuelle adhésion à des structures supranationales ?
On trouve dans la racine de cette incompréhension celle de la peur de l’UE. En lisant l’Europe à travers le prisme français, on perçoit en cette construction un potentiel rouleau compresseur des identités. Or, les Slovènes possèdent une longue expérience de la vie en communauté. Ils ont cohabité avec de multiples ethnies et cultures. Leur patrie a été italienne, austro-hongroise, française, yougoslave, sans jamais perdre son identité. La Slovénie est la preuve qu’un Etat peut être pluriel, qu’il n’existe pas une mais des Europe. Elle est la preuve qu’une nation peut vivre et s’épanouir au sein d’une entité supranationale. Peut-on trouver meilleur président pour l’Union européenne ?
(1) En 1999, Georges W. Bush expliquait qu’il tenait ses seules connaissances de la Slovaquie de sa rencontre avec le ministre des Affaires étrangères du pays. Ce “ministre des Affaires étrangères slovaque” était en réalité Janez Drnovsek, le Premier ministre slovène. Silvio Berlusconi a de son côté présenté à la presse Anton Rop, Premier ministre slovène, en tant que “Premier ministre de la Slovaquie”…
(2) A titre de comparaison, la France se trouve 10e du classement, le Portugal 29e et la Roumanie 60e - Rapport mondial sur le développement humain 2007-2008 du Programme des Nations Unies pour le Développement (l’indicateur de développement humain mesure le niveau atteint par un pays en termes d’espérance de vie, d’instruction et de revenu réel corrigé).
(3) Plus grande plume slovène.
(4) Flash eurobaromètre 132.1 ‘Elargissement de l’Union européenne’
(5) ‘Pièces de rechanges’
(6) ‘Pain et lait’
Aurélie Louchart