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En campagne, la France d'Astérix tape sur l'envahisseur européen
BRUXELLES (Reuters) - En pleine campagne électorale, la France prépare à sa manière la célébration du cinquantième anniversaire du traité de Rome: en cognant sans ménagement sur la construction européenne et ses politiques.
Les responsables européens s'arrachent les cheveux devant le spectacle donné par presque tous les candidats à l'élection présidentielle, dont le premier tour aura lieu un mois après les cérémonies de Berlin, où l'on soufflera les 50 bougies de l'UE.
"Nous sommes encore frappés du syndrome Astérix", déplore le commissaire aux Transports, Jacques Barrot. "Le 'non' à la Constitution européenne semble entraver les candidats."
Pour ce centriste rallié au parti de Nicolas Sarkozy, la France n'a pas fondamentalement changé depuis le référendum qui a plongé l'Europe dans la crise et qu'il compare au "coup de boule de Zinédine Zidane" en finale du Mondial de juin 2006.
"Nous avions la victoire, nous avions le talent pour gagner et nous nous sommes mis hors-jeu", regrette-t-il.
En réalité, c'est toute l'Union européenne qui a été mise hors-jeu le 29 mai 2005, tant il est vrai que, s'il est envisageable de contourner un "non" danois ou de faire vivre l'euro sans le Royaume-Uni, c'est impossible sans la France.
"Il n'y a pas d'Union européenne sans la France", estime le député européen Alexander Stubb, un démocrate-chrétien finlandais qui milite dans les rangs fédéralistes. "Il y a un pays qui ne peut pas être 'à la carte', c'est la France."
"Et je n'ai pas entendu une bonne suggestion sur la manière de nous sortir du pétrin", a-t-il ajouté lors d'une conférence.
"LA FRANCE BOUDE"
Impression confirmée par l'Allemande Ulrike Guérot, membre du cercle de réflexion du Fonds Marshall: "La France boude".
Or, quand la France boude, comme lorsqu'elle refuse en 1954 la Communauté européenne de défense ou qu'elle pratique, en 1966, la politique de la chaise vide, c'est toute l'Europe qui est saisie d'une sorte d'impuissance paralysante.
Et ce ne sont pas les discours des principaux candidats qui sont de nature à rassurer les responsables européens.
Nicolas Sarkozy, qui reste le favori des sondages, avait séduit les cercles européens en présentant le 8 septembre 2006 à Bruxelles un discours-programme sur l'Union qui, malgré quelques critiques, avait été plutôt bien accueilli.
Il y proposait un "mini-traité" - devenu depuis "traité simplifié" - reprenant les modifications institutionnelles qui n'ont pas fait débat en France et qui serait approuvé par l'Assemblée nationale afin d'éviter l'écueil d'un référendum.
Le problème, c'est que le candidat s'ingénie à brouiller les pistes: s'il commence tous ses discours en se présentant comme un "Européen convaincu" soucieux de ne pas faire de l'Europe un "bouc émissaire", la suite est beaucoup moins conciliante.
A force de taper contre l'euro fort, de remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne (BCE) et de s'en prendre à une Commission européenne jugée trop molle - il veut lui retirer la conduite des négociations commerciales - ou trop libérale, il a réussi à inquiéter son alliée Angela Merkel.
"Sarkozy dit oui, mais en même temps il a quelques phrases qui tendent à faire penser le contraire", regrette Barrot.
PRINCIPE DE RÉALITÉ
Même l'un des plus fidèles soutiens de Sarkozy, le député européen Alain Lamassoure, réprouve sans hésiter ces "quelques phrases", tout en soulignant que "c'est le discours de Bruxelles qui est sa feuille de route pour l'Europe".
La candidate sociale inquiète également les Européens.
Ségolène Royal reprend non seulement les attaques sur l'euro fort de Sarkozy et veut changer les statuts de la BCE pour que la croissance et la lutte contre le chômage, et pas uniquement la stabilité des prix, soit prise en compte.
Mais elle entend aussi "fixer un autre mandat à la Commission" en matière de politique de la concurrence, la pierre d'angle de l'UE, et veut ajouter à la Constitution un protocole social, dont des salaires minimaux, opposable en droit.
Le tout serait approuvé par référendum en 2009.
Ces exigences se heurtent d'abord au principe de réalité.
"On n'a pas un partenaire pour renégocier les statuts de la BCE, on n'a pas un allié pour priver la Commission de la conduite des négociations commerciales ou du respect de la concurrence et on n'a qu'un quarteron de pays qui nous suivent sur l'Europe sociale", déplore un haut responsable français.
En outre, l'organisation d'une nouvelle consultation populaire à haut risque est perçue comme une insupportable épée de Damoclès à Bruxelles, où l'on ne veut pas vivre sous la menace d'un nouveau "non" français pendant plus de deux ans.
L'irruption du centriste François Bayrou parmi les favoris est trop récente pour que les responsables aient pu intégrer cette donnée mais sa vision européenne, beaucoup plus orthodoxe, est brouillée par sa volonté d'organiser un référendum.
En outre, son Europe à plusieurs cercles - un noyau dur autour des membres de l'euro et un cercle plus large lié par le marché unique - suscite des interrogations à Bruxelles.
Tout cela rend très prudents les spécialistes de la vie politique hexagonale, qui notent que la population française, craintive et chauffée à blanc par les attaques contre "Bruxelles", est dans le même état d'esprit qu'en 2005.
"Il y a de quoi faire réfléchir tout décideur qui aurait pour projet de relancer l'Europe dans les prochains mois", souligne le sondeur Bruno Cautrès, du Centre d'études pour la vie politique française (Cevipof) de Sciences Po.