Le bataillon de SisakC'est dans ce contexte que, quelques semaines après l’invasion de la Yougoslavie, une unité de combattants croates accomplit, le 22 juin 1941, son premier acte de résistance. Il est l'œuvre de la première unité résistante constituée sur le territoire de l’ancien royaume de Yougoslavie, mais aussi l'une des premières dans cette partie de l’Europe occupée. Bientôt rejoint par d'autres combattants, ce bataillon formé près de Sisak est dirigé par Vlado Janjic et Marjan Cvetkovic. Dès septembre 1941, il compte 77 résistants, tous Croates, exceptés un Slovène et deux Serbes de Croatie.
Marquant le début de la résistance armée des démocrates et des antifascistes croates aux forces d’occupation et à leurs alliés, qu'ils s'agisse d'oustachis croates ou de tchetniks serbes, il sera le point de départ d'un soulèvement qui ira croissant. En moins de deux ans, il prendra une dimension militaire décisive débordant largement des frontières croates. L'échec de l'insurrection des Partisans en Serbie à l'automne 1941 - où les tchetniks serbes, majoritaires, collaborent ouvertement avec l'occupant nazi, les unités fascistes italiennes et le gouvernement collaborateur de Nedic - conduit la résistance à s'installer principalement en Croatie et en Bosnie. Bien qu'elle devra y livrer combat à la fois contre les oustachis de Pavelic et les tchetniks de Mihailovitch, elle y bénéficiera du soutien indispensable d'une grande part de la population locale.
La guerre des trainsAinsi fin 1941, les forces de l'occupant allemand et italien et celles des collaborateurs croates atteignent les 300 000 hommes. Face à eux, la résistance en Croatie commence à s'organiser et compte alors déjà 150 unités combattantes et 18 bataillons indépendants rassemblant quelque 7000 partisans, mêlant aussi bien des résistants démocrates proche du parti paysan croate, que des militants du parti communiste croate. Ces combattants sont néanmoins placés sous l'autorité de l'état-major des partisans de Croatie (GS NOPOH), instauré le 19 octobre 1941 par Andrija Hebrang, chef du parti communiste croate. Son commandement est confié à Ivan Rukavina, ancien capitaine de l'armée républicaine durant la guerre d'Espagne. En réaction, l'Allemagne fait porter l'effectif des forces du NDH à 115 000 hommes, oustachis (volontaires) et domobranis (mobilisés). En outre, Italiens et Allemands s'appuient de plus en plus les tchetniks serbes de Draza Mihailovitch.
Bien que modeste au départ, la force de la Résistance croît rapidement et deviendra bientôt respectable. A l'été 1942, les effectifs des partisans croates atteignent 12 500 hommes et, en décembre de la même année, 25 000 (répartis en quatre divisions sur neuf au total sur le territoire yougoslave). Malgré l'instauration par les Italiens de 11 camps d'internement pour les opposants, Mussolini est conduit à envoyer en renfort, en mars 1942, cinq divisions supplémentaires dans la zone d'occupation italienne en Croatie et dans les autres territoires yougoslaves : de 18 leur nombre passe à 23, dépassant ainsi l'effectif germano-italien réuni à l'automne 1942 à la bataille d'El-Alamein, en Egypte. Il doit néanmoins renoncer à expédier un corps d'armée en appui sur le front de l'Est.
Malgré cela, les opérations de sabotage se multiplient, notamment contre les trains Belgrade-Zagreb, qui sont alors pour l'Italie la voie d'approvisionnement principale en pétrole de Roumanie : plus de 40 locomotives sont détruites avant fin 1942. A la demande de Rome, Hitler décide même d'affecter en décembre 1942 une division entière pour la sécuriser, en augmentant les effectifs allemands à 75 000 hommes, mais sans davantage de succès : près de 1800 trains seront sabotés en Croatie jusqu'à la fin de la guerre, immobilisant au total les transports ferroviaires durant plus de 38 000 heures.
1943, le tournant décisifL'ampleur de la résistance en Croatie a alors des répercussions sur l’ensemble du théâtre ex-yougoslave, et les partisans croates portent leur combat au-delà du territoire croate. Début 1943, les forces de l'Axe lancent ainsi contre les partisans plusieurs offensives appuyées par des forces germano-italiennes fortes de 120 000 hommes (y compris quelques milliers d'oustachis et de tchetniks). Plus de la moitié des combattants qui participent à la bataille de la Neretva (Herzégovine), en janvier, et à celle de la Sutjeska (frontière bosno-monténégrine), en mai, sont croates. Sur les 7300 partisans tués sur les rives de la Sutjeska, 4246 sont originaires de Croatie.
Aussi la capitulation de l'Italie, en septembre 1943, sera-t-elle le tournant décisif de la guerre en Croatie. Les partisans parviennent alors à y désarmer la majorité des troupes italiennes et à s'emparer de leur armement. C'est le cas notamment à Split, où la population parvient, le 10 septembre, à se libérer de l'occupation italienne sans aide extérieure, ce qui est le seul cas du genre sur le territoire croate, et yougoslave. Le 11 septembre, le premier "Bataillon juif" de l'histoire est formé par les survivants du camp de concentration italien de Kampor, sur l'île de Rab, unité intégrée à la brigade des partisans croates de Rab. La majeure partie de la Dalmatie et de l'Istrie, jusqu'alors occupées, rejoignent alors massivement la résistance dirigée par le Croate Josip Broz, dit Tito. Le 13 septembre 1943, l'état-major régional des partisans d'Istrie proclame, à Pazin, la "réunification de l'Istrie avec la mère patrie croate" après plus de vingt ans d'occupation italienne - unique cas d'insurrection militaire enregistrée sur le territoire d'une des puissances de l'Axe.
Après la contre-offensive allemande en Dalmatie, Tito se réfugie, début 1944, en Adriatique sur l'île croate de Vis et y installe son quartier-général. Grâce à sa position stratégique, l'île servira de point de contact avec les Alliés et de base de secours à l'aviation anglo-américaine. Dans ce nouveau contexte, le IIIe Reich, qui comptait 108 000 hommes en Croatie et en Bosnie-Herzégovine à l'été 1943, est amené à doubler cet effectif début 1944, afin d'y intensifier ses opérations et sa répression, notamment sur la côte dalmate. En accord avec les Alliés, les partisans organisent l'évacuation, via l'île de Vis et l'Italie, de quelque 33 000 réfugiés. Environ 28 000 d'entre eux seront regroupés, jusqu'en 1947, dans un camp de réfugiés au pied du Sinaï, à El-Shatt (Egypte) - où un cimetière mémorial croate abrite aujourd'hui, à l'ombre du monument "La Mère dalmate", les tombes de 825 réfugiés.
A l'automne 1943, sur les 300 000 Partisans de Tito combattant sur le territoire yougoslave, plus de 100 000 combattent en Croatie. Sur les 26 divisions ainsi formées, 11 sont croates, 7 bosniennes, 5 slovènes, 2 serbes et 1 monténégrine. Les partisans de Croatie et de Bosnie constituent alors le fer de lance de la résistance yougoslave. Au printemps 1944, les effectifs des partisans de Croatie atteignent 110 000 hommes, répartis en 5 corps d'armée, 13 divisions, 33 brigades et un grand nombre d'unités indépendantes, toutes placées sous les ordres de l'état-major de l'Armée de libération nationale de Croatie (GSNOVH), comme elle s'intitule officiellement depuis 1943.
La Croatie libreAuparavant, en juin 1943, la Croatie s'est même dotée, à Otocac et Plitvice, d’un État-major civil national, le ZAVNOH (Conseil territorial antifasciste du mouvement de libération nationale de Croatie), présidé par une grande figure intellectuelle croate, l'écrivain Vladimir Nazor, et secondé par Andrija Hebrang. Instance suprême de la résistance en Croatie, ce Conseil coordonne alors les actions militaires des unités croates des Partisans, et organise la vie économique des territoires sous leur contrôle. En novembre de la même année, la Bosnie-Herzégovine suivra à son tour l'exemple de Croatie.
Ces deux instances seront par la suite intégrées au Conseil antifasciste de libération nationale de la Yougoslavie (AVNOJ), dont la deuxième session, les 29 et 30 novembre 1943 à Jajce, est considérée comme l'acte fondateur de la Yougoslavie fédérale d'après-guerre. Lors de sa deuxième session, en octobre 1943, le ZAVNOH déclara nuls et non avenus tous les accords conclus par « l’Etat croate indépendant » et proclama le rattachement à la Croatie de l'Istrie, de Rijeka et du Kvarner, de Zadar et des autres territoires occupés. Plusieurs leaders du parti paysan croate le rejoignent à cette occasion. En mai 1944, lors de sa troisième session à Topusko, il se constitue en assemblée constituante de l'Etat fédéré de Croatie (Federalna Drazava Hrvatska) au sein de la future Yougoslavie fédérale. En avril 1945, le ZAVNOH nomme le premier gouvernement croate et, à l'issue de la guerre, le 27 juillet 1945, ses délégués se constituent à Zagreb en Parlement de l'Etat fédéré de Croatie, restaurant ainsi la continuité du Sabor.
Ainsi, en marge de l’existence concomitante et bien connue de « l’Etat croate indépendant » de Pavelic, une autre Croatie, résistante celle-là, s'affirme de plus en plus haut. Elle jouera un rôle de premier plan, tant au niveau national que régional, et deviendra une force respectable qui finira même par supplanter, en 1944, les effectifs militaires du NDH. On compte alors, fin 1944, 151 500 résistants, (5 corps d'armée, 17 divisions - sur un total de 9 corps d'armée et 41 divisions composant l'Armée de libération nationale de Yougoslavie). Néanmoins, l'effectif des forces allemandes continue de croître jusqu'à atteindre, à l'automne 1944, 300 000 hommes, soit trois fois plus qu'à l'été 1943.
L'effacement de la résistance croateEn novembre 1944, le 8e Corps de l'Armée de libération nationale de Croatie parvient à libérer définitivement la Dalmatie, malgré des effectifs ennemis importants, forts de 45 000 soldats allemands, 12 000 oustachis ou domobranis et 5 000 tchetniks. Tandis que l'Armée rouge pénètrera en Serbie par le nord, deux divisions et une brigade des partisans de Croatie participeront en octobre 1944, aux opérations finales en Serbie, ainsi qu'à la libération de Belgrade, le 20 octobre. Composé de quatre divisions de partisans croates, le 8e Corps, devenu entretemps la IVe armée, anéantit le 15e corps allemand et libère la Lika en mars et avril 1945.
Absorbée progressivement par le mouvement de plus en plus unitariste des Partisans yougoslaves, la spécificité de la composante croate de la Résistance yougoslave s'estompe néanmoins, peu à peu. Cette tendance s'accentuera encore après le limogeage, fin 1944, d'Andrija Hebrang, secrétaire général du Comité central du PC croate et partisan d'une autonomie accrue de la Croatie au sein de la Yougoslavie titiste. Attaché à forger l'unité du parti communiste yougoslave, son secrétaire général, Tito, veillera en effet à gommer les particularités nationales au sein d'une résistance yougoslave pourtant encore très disparate.
Pour des raisons politiques, l'homme fort de la future Yougoslavie cherchera à équilibrer la part de chaque république dans la composition des quatre armées qui participeront aux opérations finales sur le territoire yougoslave. Il s'opposera ainsi à ce que les partisans croates n'en obtiennent deux à eux seuls, malgré l'importance de leurs forces. Pour les mêmes raisons, le 10e Corps de Zagreb n'a pas été autorisé a pénétrer le premier dans la capitale croate. L'historiographie officielle d'après-guerre imposera néanmoins le mythe d'un mouvement homogène, entretenu par le bannissement de toute référence nationale. L'élimination physique d'Andrija Hebrang, en 1949, restera le symbole de cette répression contre les opposants à l'unitarisme yougoslave. De fait, la contribution particulière des partisans croates est encore aujourd'hui très largement ignorée à l'étranger.
Héritage et légitimité historique Il reste que 471 836 personnes ont participé à la résistance en Croatie, dont 230 000 dans des unités combattantes, pour une population s'élevant alors à 4,2 millions d'habitants. Les deux tiers d'entre eux étaient des Croates, et un quart, des Serbes de Croatie. Rien qu'à Zagreb, 50 000 personnes ont rejoint les partisans. Les pertes parmi les partisans croates dépassent les 66 000 hommes. Aussi la Croatie fut-elle un des rares pays d'Europe à s'être libéré sans intervention extérieure directe, ni des Alliés ni de l'Armée rouge.
La participation du premier président croate, Franjo Tudjman, résistant de la première heure, aux célébrations du 50e anniversaire du 8 mai 1945 à Paris, fut l'une des premières reconnaissances internationales de la contribution de la Croatie, en tant que telle, à la victoire des Alliés. L'Etat d'Israël a décerné, jusqu'en 2005, la médaille du "Juste parmi les nations" en tout à 104 citoyens croates pour leur action en faveur des Juifs. Parmi les résistants "yougoslaves" qui se sont illustrés à l'étranger, un grand nombre étaient des Croates. Ainsi, durant la Guerre d'Espagne, sur les 1052 combattants "yougoslaves" qui se sont engagé dans les brigades internationales, 528 étaient des Croates, dont un tiers de communistes. Nombre d'entre eux ont aussi rejoint la Résistance française. C'est notamment le cas de Ljubomir Ilic (Ilitch), dit Conti, né à Split en 1905. Membre du Comité militaire national de la Libération, il fut commandant des FTP-MOI de la Zone Sud, puis commandant de toutes les unités des immigrants dans les Forces françaises de l'intérieur et seul général des FFI à n'être pas français.
Aujourd’hui c'est tout naturellement sur la « Croatie libre » (ZAVNOH), issue du maquis, que la République de Croatie fonde sa continuité et sa légitimité historique. Elle n'est nullement l'héritière de « l'Etat croate indépendant » de Pavelic, mis sur pied et soutenu par l'Axe. Le préambule de la Constitution du 22 décembre 1990 le rappelle sans équivoque : « avec la refondation de la souveraineté étatique durant la seconde guerre mondiale, qui s'est affirmée à l'encontre de l'instauration de l'Etat croate indépendant (1941), dans les décisions du Conseil territorial antifasciste du mouvement de libération nationale de Croatie (1943), plus tard dans la Constitution de la République Populaire de Croatie (1947), et ensuite dans les Constitutions de la République Socialiste de Croatie (1963 à 1990). »
Malgré ces faits, l'histoire de la Croatie durant la seconde guerre mondiale est encore trop souvent réduite à la collaboration du régime de Pavelic avec les puissances de l'Axe, alors que la Résistance croate, malgré son importance, demeure largement ignorée. La disparition de la Yougoslavie et l'avènement de la démocratie en Croatie au début des années 1990 ont cependant permis de lever le voile sur ce sujet, jusqu'alors tabou.
La célébration du 22 juin en est aujourd'hui l'un des symboles.
Sources : http://www.amb-croatie.fr/actualites/22juin.htm
Sources bibliographiques: "Doprinos Hrvatske pobjedi Antifasisticke koalicije" [La Contribution de la Croatie à la victoire de la coalition alliée], Hrvatski Sabor [Parlement croate], Zagreb, 1995.