la Slovaquie, cheval de Troie du Vatican ?
Par Blaise Gauquelin - Rue 89 (De Vienne)
La Slovaquie, c’est loin, c’est un petit pays. On ne saurait pas bien le situer sur une carte. Et pourtant, le reste de l’Europe ferait bien de s’y intéresser, parce que c’est là-bas que voit le jour, dans l’Union, un débat qui fait déjà rage aux Etats-Unis, sur la place à accorder aux convictions religieuses dans les obligations de service.
C'est justement, parce que personne n’a "les yeux rivés" sur Bratislava, à la différence de la Pologne des frères Kaczynski, que le Vatican place tout ses espoirs sur le jeune Etat slovaque. Et espère bien, grâce à un travail de lobbying discret, en faire le premier pays européen à adopter la "clause de conscience" dans plusieurs domaines de la vie publique.
La clause de conscience, qu’est-ce que c’est?
La clause de conscience, cela permettrait à tout citoyen de "refuser d’agir d’une façon que sa conscience juge contraire à l’enseignement de la foi et de la morale", selon le texte proposé par le Vatican à la Slovaquie. En clair: les médecins pourraient refuser de pratiquer des avortements, la procréation artificielle ou assistée, ou encore l’euthanasie; les salariés seraient libres de refuser de travailler le dimanche; les enseignants de ne pas parler de la théorie darwinienne de l’évolution dans leurs classes et les maires de ne pas célébrer des unions homosexuelles. Bref, les lois religieuses seraient en au-dessus des lois votées par le Parlement.
L’invitation faite par le Saint-Siège aux fidèles de refuser les lois qu’ils considèrent comme contraires à leur foi n’est pas nouvelle. Mais jusqu’ici, elle a eu un impact politique limité. En Slovaquie -pays à 70% catholique-, le Vatican touche au but, car il a réussi à polariser la société sur cette question. On a désormais d’un côté les "modernes", qui veulent une Slovaquie alignée sur Bruxelles, et de l’autre les "traditionnalistes", relayés par l’église locale, pour qui la parole du Vatican doit primer.
A tel point que cette division a entraîné une crise politique sans précédent, avec l’éclatement du gouvernement en 2006. Le Premier ministre d’alors, Mikulas Dzurinda, a en effet refusé de valider l’instauration de la clause de conscience, soutenue par les ministres chrétiens-démocrates et par une pétition ayant recueilli 100000 signatures. En démissionnant, il a d’ailleurs prévenu ses concitoyens de manière très claire: l’adoption de cette clause risquait "de donner un poids très important à l’Eglise catholique dans le processus de décision séculière".
Instauration de la discrimination dans un pays de l’UE
La commission européenne s’est, elle aussi, émue des velléités politiques du Vatican, en rappelant qu’une Slovaquie liée au Vatican par une clause de conscience n’aurait plus sa place dans l’Union. En effet, les catholiques auraient ainsi des avantages sur les autres citoyens, alors discriminés. Les femmes se verraient également entravées dans leur droit au recours à l’avortement, surtout dans les campagnes, où les hôpitaux ne sont pas nombreux. Or, le droit européen, qui prime sur les droits nationaux, interdit toute discrimination.
Depuis, les sociaux-démocrates, dont les relations avec le Vatican sont tendues, gouvernent dans un mariage de la carpe et du lapin avec deux partis d’extrême-droite, l’un à tendance nationaliste, l’autre à tendance populiste. Le gouvernement a promis le statut quo dans les relations avec l’Eglise, renvoyant l’adoption du texte aux calendes grecques. Le vice-premier ministre Dusan Caplovic a même parlé, juste après le scrutin, d’un "accord tacite" avec l’Eglise, visant à ne pas instaurer de lois pendant la législature sur les sujets qui fâchent, comme le Pacs ou l’avortement.
En contrepartie, l’Eglise devait cesser de faire pression pour l’instauration de la clause de conscience. Parole non tenue : le jeudi 13 septembre, Benoît XVI a reçu le nouvel ambassadeur slovaque auprès du Saint-Siège. Il en a profité pour souhaiter la signature rapide de l’accord sur la clause de conscience entre la Slovaquie et le Vatican. Le Pape s’est d’ailleurs félicité "de la réassurance que la République de Slovaquie est investie dans l’aboutissement de l’accord de base concernant l’objection de conscience".