Pologne, la régression politique
par Jacques AMALRIC - Libération
jeudi 11 mai 2006
A droite, toute ! Telle est la recette adoptée par les conservateurs polonais du parti Droit et Justice (PiS), pour s'assurer une majorité de gouvernement à la Diète. Arrivé en tête des élections législatives de l'automne dernier, le parti des frères jumeaux Lech et Jaroslaw Kaczynski (1) était paralysé depuis sa courte victoire par sa position minoritaire. Incapable de s'entendre avec les libéraux de centre droit de la Plate-forme civique (PO), le PiS dépendait au Parlement de la bonne volonté des députés populistes et antilibéraux du mouvement Autodéfense (Samoobrona) et des élus d'extrême droite et ultracatholiques de la Ligue des familles polonaises (LPR).
Pour éviter des élections anticipées qu'ils auraient bien pu perdre, les frères Kaczynski ont choisi de franchir le Rubicon : le 5 mai dernier, ils ont conclu un pacte gouvernemental avec Samoobrona, la Ligue des familles et quelques députés dissidents de cette dernière. Une bonne affaire pour les deux partis cooptés, puisque leurs leaders respectifs vont seconder le terne Premier ministre, Kazimierz Marcinkiewicz, en tant que vice-Premiers ministres. Andrzej Lepper, le chef de Samoobrona, obtient également le ministère de l'Agriculture. Quant à Roman Giertych, président de la Ligue, il se voit bombardé ministre de l'Education, ce qui n'a pu être ressenti que comme une provocation par la Pologne urbaine des classes moyennes.
Au-delà de ces tractations politiciennes, tout se passe en effet comme si une guerre des cultures se mettait en place au détriment du développement économique du pays et des 20 % de chômeurs. D'un côté, toute une partie de la population qui aspire à la modernité et croit à l'avenue européenne, même si elle a été échaudée par l'incompétence et la corruption des équipes précédentes, formées surtout par d'anciens communistes convertis du jour au lendemain en d'opportunistes et confortables sociaux-démocrates. De l'autre, une Pologne rurale, souvent âgée, désabusée, sans travail, manipulée par des populistes xénophobes et par des ultranationalistes antieuropéens, le tout sous la houlette d'une partie de l'Eglise catholique qui entend redevenir la tutrice de la nation.
Cette Pologne-là se retrouve à l'écoute de Radio Maryja, une station privée contrôlée par un rédemptoriste intégriste, Tadeusz Rydzyk, où se précipitent président, responsables du PiS, Premier ministre et ministres, comme si elle était devenue radio d'Etat, pour multiplier les interventions entre deux prières. Outre la condamnation rituelle de l'avortement et de l'homosexualité, on peut aussi y entendre des commentaires ouvertement antisémites contre «les hommes venus de Judée qui tentent de nous surprendre en nous prenant à revers», contre le Congrès juif mondial, «la principale firme qui fasse dans l'industrie de l'Holocauste» ou contre le quotidien issu de Solidarnosc, Gazeta Wyborcza, qualifié d'«exemple inhabituel de cinquième colonne juive en Pologne» puisque plusieurs de ses journalistes et son directeur sont juifs. Le tout sans que l'équivalent du CSA polonais y trouve à redire. Qu'une critique littéraire féministe et anticléricale se permette, en revanche, de se moquer d'une handicapée spécialisée dans la récitation de prières sur Radio Maryja, et la station qui a diffusé ses propos écopera d'une amende de 100 000 euros. Radio Maryja, qui compte plusieurs millions de fidèles auditeurs et dont l'influence est renforcée par une chaîne de télévision et un quotidien du même acabit, a plusieurs fois été mise en garde par l'épiscopat polonais et le nonce apostolique pour ses dérives partisanes. Tout à fait en vain jusqu'à présent. Certains en sont à espérer que Benoît XVI, qui doit se rendre en Pologne du 25 au 28 mai prochain, mette son influence dans la balance pour restreindre Radio Maryja à un rôle évangélique.
La cohabitation des trois formations de droite et d'extrême droite au sein d'un même gouvernement risque de se révéler difficile en matière économique : alors que la Ligue des familles est favorable à un retrait de la Pologne de l'Union européenne, le leader d'Autodéfense, du même avis il y a un an, veut aujourd'hui renégocier les accords agricoles conclus avec Bruxelles (2) et fermer la porte aux étrangers «qui ont racheté nos richesses pour des cacahuètes».
Opposé à l'entrée de la Pologne dans la zone euro, cet ancien communiste devenu aujourd'hui un riche agriculteur, veut aussi la tête du président de la Banque nationale, Leszek Balcerowicz, le père des privatisations des années 90. Le PiS, quant à lui, prêche en faveur d'un coûteux étatisme social sans savoir comment le financer. De quoi ne pas rassurer les partenaires européens de la Pologne, qui ont déjà accueilli avec regret la démission du ministre des Affaires étrangères, Stefan Meller ; proeuropéen, ce dernier a estimé ne plus pouvoir travailler au sein d'une telle équipe, qui ne trouvera un semblant de cohérence que dans l'exaltation de l'anticommunisme, du nationalisme et des valeurs les plus rétrogrades du catholicisme.
(1) Lech a été élu président ; Jaroslaw dirige le PiS. (2) La Pologne doit toucher environ 60 milliards d'euros pour son développement économique entre 2007 et 2013.