Les bureaux de recrutement d'Europe occidentale prolifèrent à Varsovie. 10% des urgentistes et 15% des anesthésistes polonais sont prêts à quitter leur pays.
«DENTISTS, welcome to England !» Depuis mai 2004, ce genre d'annonce regorge dans la presse médicale polonaise. Si la France craint le plombier polonais, la Grande-Bretagne, la Suède, le Danemark et même l'Allemagne accueillent, eux, à bras ouverts médecins et dentistes polonais. Mieux, ils viennent les démarcher sur place, via de nombreuses officines de recrutements qui travaillent sur commande des gouvernements ou hôpitaux publics, privés et militaires de ces pays.
C'est le cas de Paragona. Ce bureau basé à Stockholm a ouvert une tête de pont à Varsovie en 2003, juste avant l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne. Objectif : répondre aux nombreuses demandes des hôpitaux anglais, écossais et danois.
«Depuis mai 2004, nous avons envoyé 290 médecins et dentistes en Grande-Bretagne et 70 médecins au Danemark», explique Catharina Ringer, directeur des études, sur le campus de Paragona à Varsovie, au milieu des neuf dentistes et huit médecins en stage de préparation pour partir en Écosse et au Danemark. Au total, depuis l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne, 4 801 médecins et 1 528 dentistes, soit respectivement 4,05% et 4,93% des praticiens de ce pays, ont demandé à la chambre nationale des médecins polonais le certificat de conformité nécessaire pour aller travailler à l'étranger. Des chiffres importants qui, s'ils n'effraient pas encore le ministère de la Santé polonais, commencent à inquiéter Konstanty Radziwill, le président de la chambre nationale des médecins. «Pour le moment, il n'y a pas de problème de sécurité pour nos patients, explique-t-il, dans son vaste bureau varsovien. Mais cela pourrait venir. Il faut savoir que parmi les jeunes médecins, un sur deux souhaite émigrer. Parmi nos spécialistes, près de 15% de nos anesthésistes, 14% des chirurgiens plasticiens, 12% des chirurgiens du thorax et 10% de nos médecins urgentistes ont demandé le certificat.» Il s'arrête et sourit : «Le problème, c'est que nos médecins ont une excellente réputation à l'étranger. Leur qualification est bonne et ils travaillent dur.»
Heures supplémentaires et gardes de nuit
A Paragona, Lukasz Nowak, médecin généraliste de 39 ans, vient de terminer son énième cours de danois. Il trouve difficilement ses mots. «Excusez-moi, dit-il. Je suis un peu fatigué. Nous avons huit heures de danois par jour, plus le travail à la maison...» Plus aussi la télévision et la presse en danois. «Ils vivent au campus et ont sept mois pour apprendre la langue, explique Adam Ringer, directeur de Paragona. Cela fait partie du contrat que nous avons avec l'hôpital qui les recrute.» Hôpital qui finance aussi leur voyage et leur installation sur place, famille comprise.
Pourquoi partir ? «Les salaires sont deux à douze fois supérieurs», explique Ringer entouré de sa vingtaine de salariés. Il faut dire que le salaire de base dans un hôpital public polonais est d'environ 1 500 zlotys par mois, soit 385 euros.
Ici, la plupart des médecins cumulent heures supplémentaires, gardes de nuit ou cabinet privés extérieurs pour gagner décemment leur vie. C'était le cas de Lukasz : «Je cumulais cinq fonctions, explique-t-il. 60 à 70 heures de travail par semaine pour gagner à peine 1 000 euros par mois. Je n'avais plus de vie de famille.» Ses camarades acquiescent. Lukasz poursuit : «Au Danemark, je gagnerai au moins deux fois plus pour seulement sept à huit heures de travail par jour.»
Reste que l'exode pourrait bien s'accélérer car l'Europe occidentale va de plus en plus manquer de praticiens. «Dès que la loi européenne sur les 48 heures maximum de travail hebdomadaire s'appliquera, il manquera 30 000 médecins supplémentaires en Grande-Bretagne et autant en Allemagne», commente le président de la chambre nationale des médecins...
Antoine Hervé
17 juin 2006
http://www.lefigaro.fr/eco/20060617.FIG000000760_la_pologne_perd_ses_professionnels_de_sante.html