Le Festival de cinéma de Douarnenez, dont la 29e édition a fait 20 000 entrées du
19 au 26 août, s'acharne à revisiter l'histoire, avec pédagogie et convivialité. L'esprit n'a pas changé depuis sa création, en 1978, autour de la MJC de cette ville communiste à forte identité ouvrière.
On se battait alors contre le projet de centrale nucléaire de Plogoff, et c'est autour de ces militants sensibilisés à l'écologie et à la survie de la culture bretonne que fut lancé un festival qui fonctionne aujourd'hui avec 4 permanents, quelque 200 adhérents locaux et, le temps de la fête, 300 bénévoles venus de Toulouse, Lyon ou Strasbourg...
Débats à la MJC et à la mairie, lieu de rencontre en plein air avec buvettes, cantines et chapiteau, assurent une ambiance hostile aux paillettes. S'ouvrant à la littérature, la musique, la photo, collaborant avec la Cinémathèque de Bretagne, Douarnenez fait de la géopolitique à la portée de tous, à travers conférences, documentaires, fictions.
Estampillé "Festival des minorités nationales" en 1978, Douarnenez a révisé son concept à la fin des années 1980 pour explorer les "identités culturelles". "Nous nous méfions des nationalismes exacerbés et cherchons plutôt à faire découvrir les peuples, leurs langues, leurs différences, et comment résister à la mondialisation", dit Caroline Troin, l'une des directrices.
Furent invités et visités le Québec, les Indiens d'Amérique du Nord, l'Occitanie, le Pays basque, les pays celtes, les Aborigènes d'Australie, les Berbères... Chaque fois les responsables se rendent sur le terrain pour consulter journalistes, ethnologues, anthropologues, politologues, et proposer le moment venu des échanges pacifiques, tolérants.
KUSTURICA, HAINE OU MUTISME
Les Balkans étaient cette année au centre des discussions : interroger nos voisins serbes, bosniaques, kosovars, albanais, slovènes, croates, monténégrins, sonder les années Tito de l'ex-Yougoslavie, fournir des clés sur la diversité culturelle et les conflits.
On aura idée du casse-tête diplomatique affronté par les organisateurs en citant le cinéaste
Emir Kusturica, sujet tabou, attisant des controverses parfois incompréhensibles ici, suscitant haines ou mutisme. Le cinéaste n'était pas invité, mais plusieurs de ses films étaient projetés. L'auteur du Temps des Gitans accumule-t-il les clichés attendus par l'Occident, comme le prétend le dramaturge Milos Lazin ? Spécialiste du cinéma des Balkans, Dina Iordanova explique, elle, qu'il existe là-bas "un respect de l'héritage folklorique, employé comme source d'inspiration et comme référence visuelle, comme le prouvent de nombreuses scènes montrant des célébrations communautaires, mariages ou rites religieux".
Hommage à
Zelimir Zilnik, films de
Makavejev, Pavlovic, Petrovic, Sijan, Kumbaro, Angelopoulos, présentation en avant-première de Sarajevo mon amour, de
Jasmila Zbanic, film relatant comment une femme violée pendant la guerre tente de reconstruire sa vie avec sa fille (Ours d'or à Berlin, film culte en Bosnie et dénoncé comme anti-serbe par certains médias), ont offert un panel d'images auquel le no 1 de la revue Au sud de l'Est apporte un intéressant complément (éd. Non Lieu, 3, rue de Suez, Paris-18e).
Parmi les temps forts, on citera une passionnante enquête, nourrie de témoignages courageux : Les Hommes de l'ombre de Milosevic, de Marie-Claude Vogric, dans lequel sont décryptés un certain nombre de mensonges et où se profile une version inédite du massacre de Srebrenica, du rôle du président Clinton, de la position de l'ONU.
Jean-Luc Douin
Article paru dans l'édition du Monde du 27.08.06
le programme du festival
5 grandes sections dans la programmation thématique :
Tout d'abord, une rétrospective historique,
Les années yougoslaves. Des regards contemporains ou a posteriori, sur les moments difficiles des années 1960-1970, où, sous la férule, assurée ou nocive - c'est selon - du Maréchal Tito, le cinéma, souvent inspiré par l'École de Prague, parvenait néanmoins à s'afficher et à contourner les velléités de censure.
L'homme n'est pas un oiseau (1965) de Dusan Makavejev, Quand je serais mort et livide (1967) de Zivojin Pavlovic, Les enfants d'après (1968) de Bato Cengic, mais aussi Papa est en voyage d'affaires (1985) d'Emir Kusturica, Un décevant été 68 (1984) de Goran Paskaljevic, Tito et moi (1992) de Goran Markovic...
Ensuite une section plus résolument documentaire et informative :
Identités nationales et minorités, conjuguant cinéma et géopolitique pour explorer à travers leurs musiques, leurs religions, leurs revendications politiques, des peuples et des sociétés aux héritages divers.
Des magazines comme Le dessous des cartes de Jean-Christophe Victor ou Kosovo, mission inachevée de Elisabeth Jonniaux. Une fenêtre sur l'Albanie, petite inconnue de l'Europe trop longtemps repliée sur elle-même. Des films empreints de surréalisme et d'autodérision comme Tirana, année zéro de Fatmir Koçi ou Nuit sans lune d'Artan Minarolli. Des films à découvrir.
Pour sortir des sentiers battus et des présentations folklorisées, toute une section consacrée aux
Roms des Balkans, où à côté des œuvres majeures de Kusturika (Le temps des gitans) on a pu voir des films venus de Serbie, de Bulgarie, de Macédoine et de Roumanie.
Le passé récent, avec son lot de drames et de dérision : Bosniaques, Croates, Serbes dans la guerre. Un panorama indispensable pour relire une histoire aussi malmenée. Citons Casques bleus de Chris Marker, Qu'avez- vous vu de Sarajevo ? de Patrice Barrat,Veillée d'armes de Marcel Ophüls...
Dernier volet :
Lendemains... Que va nous proposer l'avenir sur les cicatrices d'un passé aussi cruel et sur les incertitudes du présent ? C'est là que la programmation fait preuve d'un bel éclectisme avec Baril de poudre et Songe d'une nuit d'hiver de Goran Paskaljevic, Go west d'Ahmed Imamovic, Sarajevo mon amour de Jasmila Zbanic...
par contre, absence de No man's land de Danis Tanovic, sans doute le meilleur film de fiction sur ces temps troublés et une dénonciation sans appel de la guerre et de ses atrocités, le tout dans un comique ravageur dont on ne sort pas indemne.
Pour tout le reste, le festival poursuit ses bonnes traditions avec une quantité d'invités venant vraiment à la rencontre du public (réalisateurs, comédiens, journalistes (notamment l'équipe de Courrier des Balkans), militants, écrivains... P'tits déjeuners (bio avec café-crêpes et beurre salé) de la MJC et les débats de la mairie (l'héritage ottoman, l'intégration européenne, l'imaginaire, les peuples oubliés...).
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