pipacs Admin
Nombre de messages : 1565 Date d'inscription : 20/09/2005
| Sujet: Erich Lessing photographe 25.10.06 13:50 | |
| Erich Lessing, Budapest 1956, expose à la mairie du Xe arrondissement de Paris (rencontre avec Erich Lessing, le 9 novembre à 19 heures), 72, rue du Faubourg-Saint-Martin, jusqu'au 13 novembre. Rens. : 01 53 72 10 42, www.mairie10.paris.fr
Dans le cadre du mois de la Photo à Paris, une présentation de l'ouvrage d'Erich Lessing, déjà évoqué à propos de l'actualité hongroise sur nos pages, a lieu à la mairie du 10ème arrondissement.
"'Budapest 1956, La Révolution', est une mise en perspective de l'Histoire racontée en image. L'exposition vient en complément du livre éponyme et montre de grands tirages, donnant alors plus d'importance à la valeur artistique du travail. Le livre devient ainsi un double témoignage tangible de la révolution et de l'exposition, vision d'autant plus explicite, donnée par le retour, 40 ans après, du photographe sur les lieux. C'est aussi une mise en perspective des faits racontés en images par la présence de la presse de 1956 ; les magazines de l'époque donnent une vision purement informative et la presse relate alors les faits sans prendre de recul. Depuis 1956, Erich Lessing publie des ouvrages historiques, thématiques, sur l'histoire de l'Art dont les thèmes varient de la mythologie, à la Bible, aux châteaux en Allemagne, à l'Opéra de Paris, aux oeuvres d'art des musées européens. " "l'Evène"
Interview du photographe dans Libération: "La rue était une scène"
Autrichien, né en 1923, membre de l'agence Magnum, photographe pour Life, Erich Lessing se définit lui-même comme un «animal politique». En 1956, il travaille à une série de reportages dans les quatre principales républiques communistes d'Europe centrale (RDA, Tchécoslovaquie, Pologne et Hongrie). Quand éclate l'insurrection à Budapest...
Quelle était l'ambiance de l'autre côté du rideau de fer en 1956 ? On sentait qu'à la suite du XXe congrès du Parti communiste de l'Union soviétique, celui de la déstalinisation, l'édifice commençait à se lézarder. Agitation ouvrière à Poznan, émeutes à Berlin-Est. En Pologne, sous l'impulsion de Gomulka, le régime commençait à se libéraliser. En Hongrie, où je réalisais des reportages réguliers, les intellectuels se réunissaient au Cercle Petöfi, autour de philosophes communistes libéraux comme Lukács... On parlait beaucoup de réformes. La vie quotidienne était dure, mais l'espoir revenait, en même temps que grandissaient les influences sociales-démocrates au sein des partis communistes. On sentait que quelque chose allait se passer, que le système stalinien allait céder quelque part... Mais quoi ? Mais où ? Ça, on ne le savait pas.
Vous n'êtes pas en Hongrie quand la révolution éclate, le 23 octobre 1956...
J'étais en Pologne. Quand j'ai appris, le 24 au matin, que ça bougeait à Budapest, j'ai sauté dans un avion pour Vienne, puis j'ai poursuivi en voiture. La frontière était ouverte et j'ai passé la nuit à Györ. C'est à ce moment que j'ai fait mes premières photos : un conseil révolutionnaire à l'hôtel de ville et des soldats hongrois décrochant le portrait de Lénine du mur de la salle. A Budapest, le lendemain, j'ai entendu les premiers coups de feu en arrivant à l'hôtel Duna, l'ex-Bristol, quartier général des journalistes, où nous tentions d'apprendre les nouvelles. On m'a dit qu'il y avait des combats rue Váci, j'y suis allé. C'est là que j'ai pris l'une de mes photos préférées : devant la librairie soviétique, des insurgés brûlent les livres et les disques russes. Un homme déclame le Chant national de Petöfi, un poème que tous les Hongrois connaissaient à l'époque, synonyme de liberté.
Que s'est-il réellement passé en Hongrie à ce moment ?
Je crois que personne n'a jamais vraiment compris comment ça s'est enflammé. C'est le mystère d'une révolution, qui ne ressemble ni à un coup d'Etat ni au coup de main d'un groupe de militants. Il ne semblait pas y avoir de force centrale ni d'organisation interne, la confusion était énorme, mais aussi l'espoir et l'euphorie, comme dans tout mouvement populaire spontané. S'il faut faire une comparaison historique, c'est avec 1789...
A quoi ressemblait Budapest pendant l'insurrection ? Les événements s'enchaînaient de façon très chaotique, l'air était électrique. C'était une insurrection urbaine, bizarre, avec une violence spectaculaire en certains points et, quelques rues plus loin, un calme apparent. J'ai pris conscience du côté paradoxal des combats de rue : les gens pouvaient vaquer à leurs occupations en passant devant les cadavres de soldats russes. La foule se massait parfois devant des groupes d'insurgés, contemplant le spectacle de la guerre. Les rebelles vidaient le chargeur de leur mitraillette en l'air, ou sur des symboles communistes détestés. On ne savait pas d'où venaient les ordres ni qui les donnait... Tout semblait obéir aux seules règles dictées par de petits groupes armés. Une révolte de gauche coïncidait d'ailleurs avec une insurrection de droite, et très vite une vie politique s'est développée, où des groupes antagonistes se formaient. Parfois, ils se tiraient dessus, juste après avoir fait feu commun contre les Soviétiques... Il y avait des communistes réformateurs, des royalistes, des catholiques, des sociaux-démocrates, des miliciens d'extrême droite. C'était une situation comme il ne s'en reproduira peut-être jamais. Je pense que s'il y avait eu alors des élections libres, elles auraient porté la droite au pouvoir. Et les rumeurs courraient : «Imre Nagy [le leader réformateur communiste] est de retour.» «Il se passe quelque chose au sein du parti.» «Les Russes sont partis.» «Ils reviennent.»
La violence a parfois tourné au massacre...
Dans le bâtiment du Parti communiste, à Budapest, des membres de l'AVO, la police secrète, ont été fusillés à la mitraillette. Parfois, on ne savait pas trop de quoi ils étaient coupables ni vraiment qui ils étaient. Mais c'était extrêmement violent, sauvage. Les gens s'acharnaient sur les corps, les mutilaient, pendaient les cadavres par les pieds. Il y avait comme un rite de vengeance terrible. Devant l'immeuble, les insurgés ont étendu des cadavres de miliciens de l'AVO en leur glissant sous la tête la photo de Rákosi, le chef communiste fidèle à Moscou. Des passants regardaient tout cela, certains paisiblement, d'autres crachaient sur les corps. Quand la foule a surpris des policiers encore vivants, elle les a lynchés, puis pendus par les pieds. Les Hongrois sont venus chercher leurs morts avec des camions ornés de drapeaux noirs, mais ont laissé les cadavres des soldats soviétiques ou des policiers de l'AVO sur place. On les a juste recouverts de chaux.
Sur vos photos, on voit souvent les gens s'en prendre aux symboles communistes...
Les étudiants démontaient les armoiries de la Hongrie communiste. Comme s'ils n'avaient rien d'autre à faire... Cela me semblait très infantile, presque inutile, je me disais que tout finirait mal. Un peintre sillonnait même la ville sur une bicyclette, avec une palette et un pinceau : dès qu'il tombait sur un char pris aux Soviétiques ou sur un canon, il y figurait le symbole de la révolution de 1848, ou la croix de Saint-Etienne, à la place des signes communistes, alors même qu'on tirait dans tous les sens. C'était une intense guerre des symboles. En quelque sorte, il fallait détruire les symboles haïs, plutôt que de prendre le pouvoir. C'était très amateur. J'ai vu une brigade entière de soldats insurgés tenter de décrocher une faucille et un marteau d'un mur de béton, plutôt que de défendre le bâtiment contre les chars soviétiques qui arrivaient !
Pourquoi cette guerre des symboles ?
Pour les Hongrois, les symboles comptent énormément. Un peu comme les Français, il s'agit d'un peuple très attaché à son histoire, qui est elle-même contradictoire. Ce qui est revenu en 1956, à travers les symboles et les références, c'est une vieille culture politique, liée à 1848 et à la révolution libérale contre l'empire des Habsbourg. Les héros en étaient Petöfi ou Kossuth : ce sont eux que les Hongrois ont retrouvés un siècle plus tard en luttant contre un nouvel empire soviétique. Mettre à terre la statue de Staline, c'était refaire la révolution du XIXe siècle. L'autre chose qui frappe sur vos photos, c'est la jeunesse des insurgés... Ce sont les jeunes et les étudiants qui ont pris la rue, d'où ce désordre, cette spontanéité. Des jeunes gens de 18 ans qui prennent les armes, traversent la ville, veillent la nuit, mais retournent chez eux pour déjeuner avec papa et maman entre deux combats. Il y a aussi beaucoup d'élan, de vitalité, de sensualité dans ces images. Une sorte de beauté romantique... Tout allait ensemble. Pendant les quatre jours de trêve, fin octobre-début novembre, c'était l'euphorie, comme une suspension du temps. La foule regardait ça : elle était au spectacle de l'histoire, la rue était une scène de théâtre.
Comment interprétez-vous Budapest 56 dans l'histoire du communisme à l'Est ?
Cette révolution prélude à la fin du communisme, même si le système a encore duré plus de trente ans. Le rideau s'est levé pour la première fois : c'est la preview de Prague 1968 puis, surtout, de Berlin 1989. Je suis intimement convaincu que le mur de Berlin ne serait pas tombé, même à trente ans de distance, si les étudiants de Budapest n'avaient pas tiré sur les chars russes.
Pour vous, ça s'est terminé comment ?
Quand on a appris que les marines stationnés en Allemagne avaient été envoyés en permission, on a compris que ni les Américains ni l'Otan n'interviendraient pour protéger la Hongrie. C'était un signe clair : Budapest reste du côté de Moscou, l'Occident ne bougera pas... A un moment, tout est devenu très calme : les Russes étaient partis de Budapest. Le 4 novembre, j'ai été faire un reportage à la frontière ukrainienne. Les routes étaient désertes. Puis, soudain, je suis tombé sur des chars soviétiques, qui ne filaient plus du tout vers l'Est, mais fonçaient vers Budapest. Je suis retourné à l'hôtel Duna et j'ai prévenu que les Russes revenaient. Cela sentait le roussi. J'ai regagné Vienne en voiture. Pendant quelques mois, la frontière est restée ouverte : je suis retourné à Budapest juste avant Noël 1956 pour photographier la ville en partie détruite, avec des étals au milieu des ruines, des grands magasins pillés, des immeubles pas reconstruits. Une ville triste sous la neige.
Aperçu de l'exposition Des images souvent très douloureuses pour ceux qui ont vécu cette période
"Erich Lessing a aussi voulu montrer les "côtés moins beaux" de la révolution : des corps de collaborateurs du régime prosoviétique et de membres de leurs familles exécutés par les révolutionnaires sont alignés devant le quartier général des travailleurs. Un homme lynché est accroché par les pieds à un arbre. Pour ceux restés en Hongrie, la répression soviétique, particulièrement violente et meurtrière, a ensuite fait place à la misère illustrée par une photo de Lessing d'une longue file d'attente pour du pain, indifférente au corps d'un soldat soviétique recouvert de chaux dans le caniveau. Toutefois la vie reprend son court, comme en témoigne la photo d'un couple de mariés sortant entouré de la famille d'une église au milieu de bâtiments en ruines. "Pour moi il n'y aura toujours qu'une révolution, celle de 1956", souligne enfin Erich Lessing. Sans ce prélude je ne suis pas sûr que le Mur (de Berlin) aurait pu tomber". " source "le petit journal de Budapest" La place Felvonulási (place du Défilé) en été 1956. On y voit encore la statue de bronze de Staline. Elle sera déboulonnée le soir du 23 octobre 1956.Des habitants de Budapest font la queue pour acheter de la nourriture tout en regardant les corps de soldats soviétiques tués au combat et aspergés de chaux dans une rue du VIIIe arrondissement de Budapest.Les insurgés brûlent des portraits de Rákosi devant le siège budapestois du Parti communiste tout juste occupé.Des livres et des disques soviétiques sont brûlés devant une librairie de la rue Váci, dans le centre-ville, vers le 30 octobre 1956. Un insurgé enthousiaste déclame le Chant national de Petöfi. Les premiers exemplaires du Függetlenség (L’Indépendance) sont jetés parmi la foule du haut de l’ancien siège du journal Szabad Nép, le 2 novembre 1956. À l’arrière-plan, le grand magasin Corvin.À la mairie de Györ, dans les tout premiers jours de la Révolution, des soldats insurgés décrochent le portrait de Lénine du mur de la salle du Conseil. Des réfugiés hongrois dans le camp d’Andau, pendant l’hiver 1956-1957.Une vieille femme tire dans la neige trois sacs très lourds.En souvenir de l’exode de masse des Hongrois vers l’Autriche entre le 4 novembre et le 31 décembre 1956, les autorités hongroises ont sauvegardé deux miradors symbolisant le « rideau de fer » près du village autrichien d’Andau. 1998 . Pipacs | |
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